Le dernier vol du faucon
été aussi bourdonnant de rumeurs. On était même allé jusqu'à raconter que les gardes royaux assurant la protection du Saint des Saints avaient tenté de piller des trésors sans prix et qu'ils seraient exécutés. Profiter ainsi de l'indisposition du Seigneur de la Vie ! pensa Chuchit, outrée. Quelle honte !
Le bateau assurait un service régulier et progressait à petite allure, observant de fréquentes haltes. Chuchit finit par s'endormir. Lorsqu'ils atteignirent Ayuthia, le jour était levé. Quelques instants plus tard, la nourrice se trouva devant l'imposant portail de teck de la résidence du Barcalon. Tenant sa pupille par la main, elle informa les gardes qu'elle avait un message urgent pour 1 epouse du seigneur farang.
Chuchit était satisfaite. Peu de personnes en dehors d'elle savaient qui était le père de cette enfant. Et ceux-là avaient juré au Seigneur de la Vie de garder le silence, bien qu'elle n'ait jamais compris pourquoi. L'enfant avait bien de la chance que sa nourrice connaisse la vérité, sinon elle ne serait jamais venue ici. La première épouse du Barcalon serait sûrement ravie d'accueillir la petite Supinda. C'était une enfant si attachante...
« Noble Dame, il y a une femme avec un enfant qui demande à vous voir. »
La servante était prosternée à la porte du salon de Maria, attendant les instructions de sa maîtresse. Maria fronça les sourcils. « Nous ne pouvons plus accueillir d'enfants ici, Chaï. Il faut attendre que l'extension de l'orphelinat soit achevée.
- Noble Dame, qu'il en soit fait selon vos ordres.» La servante rampa à reculons.
Maria soupira. On parlait de plus en plus de la guerre et beaucoup de familles catholiques envoyaient leurs enfants à l'orphelinat pour les mettre en sécurité. Les Siamois convertis quittaient Louvo en masse. Maria détestait avoir à les repousser mais l'établissement était véritablement plein à craquer.
Quelques instants plus tard, la servante réapparut.
« Noble Dame, le cas de cette femme semble différent. Elle assure qu'elle est une nourrice royale, qu'elle vient du palais de Louvo et que l'enfant qui l'accompagne intéresse tout particulièrement Votre Seigneurie. »
Maria eut un étrange pressentiment. «Quel âge a l'enfant?
- Noble Dame, je dirai environ quatre ans.»
Maria sentit son estomac se nouer. « Fais-les entrer,
Chaï. Et ensuite laisse-nous seules.
- A vos ordres, Noble Dame. »
Un instant plus tard, Chuchit et sa jeune pupille se prosternaient sur le seuil. L'anxiété de Maria grandit encore à la vue de la petite fille avec ses grands yeux et sa peau légèrement dorée. Comme si elle avait senti le regard de Maria posé sur elle, l'enfant leva les yeux et Maria crut qu'un poignard lui perçait le cœur. C'était les yeux de Constant. Elle resta figée sur place sans pouvoir détacher les siens de l'enfant, tandis qu'une vague de douleur et de jalousie la traversait. La fillette était ravissante et son expression, si sem-
blable à celle de son père, semblait lui dire qu'elle savait ce qui se passait.
Maria entendit vaguement la voix de la nourrice et elle ferma les yeux car ses paroles ne faisaient qu'augmenter sa douleur.
«Noble Dame, j'ai longuement réfléchi avant de prendre cette décision, mais la vie au Palais est devenue très incertaine et la petite Supinda est perdue sans ses parents bien-aimés. J'ai pensé qu'entre vos mains elle serait en sécurité.»
Supinda se tourna vers Chuchit. «Où sont mon père et ma mère, nounou?»
On aurait dit qu'elle allait fondre en larmes. Chuchit posa un bras autour d'elle pour la réconforter.
Maria frémit en entendant la voix de l'enfant. Elle ne connaissait même pas son nom jusqu'à maintenant. Ainsi, ils l'avaient appelée Supinda... sans doute en l'honneur de cette sorcière de Sunida. Elle fit un effort suprême pour se contrôler.
«Vous avez bien fait de l'amener ici, nourrice. Mais il faut que je vous parle en particulier et Supinda va aller attendre dehors. »
Maria appela une servante et lui ordonna de faire visiter l'orphelinat à la fillette qui ne semblait guère en avoir envie. Elle s'agrippait à Chuchit, mais cette dernière l'écarta avec un sourire d'encouragement.
Dès qu'elles se retrouvèrent seules, Maria reporta son attention sur Chuchit. «Quelles nouvelles avez-vous de mon mari ? Je suis anxieuse à son sujet. »
La nourrice baissa respectueusement la tête. Était-ce à elle d'annoncer à
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