Le dernier vol du faucon
l'honorable épouse du Barcalon que son époux avait été jeté dans les cachots du roi ? La nouvelle serait peut-être trop rude pour elle.
« Il y a beaucoup de rumeurs, Noble Dame, finit-elle par dire, mais il semble que les parents de Supinda ont tous deux disparu. »
Maria affecta de prendre un air affligé. « La petite semble très attachée à son père et à sa mère. J'espère qu'elle sera heureuse ici. - Noble Dame, c'était déjà assez pénible pour la
pauvre enfant d'être privée de son père qui, d'ordinaire, venait la voir tous les jours. Mais quand dame Sunida a également disparu, elle est devenue inconsolable.» La femme sourit tristement. «Vous n'imaginez pas combien ils aimaient rire et jouer tous les trois ensemble. On aurait dit de jeunes chiots. »
Maria dut faire appel à toute son énergie pour garder le sourire. « Nous ferons de notre mieux pour la rendre heureuse ici. Elle ne manquera pas d'enfants de son âge, en tout cas. »
Elle se tut quelques instants, gagnée par la fureur, en imaginant Constant en train de jouer avec la petite Supinda tout en continuant d'assurer à sa femme que l'enfant qu'elle portait était son premier-né. Et voilà que ce n'était même pas le second, mais le troisième ! Pendant toutes ces années, il n'avait cessé de lui mentir, de la duper et peut-être aussi de se moquer d'elle.
Peu à peu, la rage bouillante céda la place à une haine froide et à un seul objectif: le détruire. Personne n'échapperait à sa vengeance, pas plus Constant que Sunida. Lui, avec sa belle assurance et ses dénégations hypocrites. Elle, la petite sirène, dissimulée comme une maladie honteuse dans les profondeurs du Palais et qui se disait concubine royale !
Légèrement inquiète, Chuchit n'avait cessé d'observer Maria du coin de l'œil. Avait-elle été vraiment bien inspirée d'amener Supinda ici? L'épouse du Bar-calon grinçait des dents et semblait agitée par les plus grands tourments. Était-il possible qu'elle et Sunida ne s'entendent pas? Cela arrivait parfois entre première et seconde épouses. Mais Chuchit ne parvenait pas à comprendre qu'on puisse avoir le moindre grief contre Sunida, la plus gentille et la plus prévenante des femmes.
Remarquant soudain que la nourrice la dévisageait, Maria s'efforça de lui sourire gentiment. «Je vous suis reconnaissante d'être venue, nourrice. La petite Supinda sera dans de bonnes mains ici, n'en doutez pas. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour vous ? »
Chuchit parut soulagée. Ses craintes ne semblaient pas fondées et l'honorable dame se montrait maintenant très aimable. Elle la raccompagna même jusqu'à la porte, ce qui était un honneur.
Luang Sorasak, que l'on appelait désormais « Excellence», arriva chez Maria quelques minutes après le départ de Chuchit. A la recherche de Vichaiyen, il fut surpris de la facilité avec laquelle on le reçut. On se contenta de le fouiller brièvement avant de l'introduire dans le salon. Il avait cependant noté la présence de gardes armés aux portes.
Il s'accroupit à côté d'une jolie table de Goa, tapotant sa surface incrustée de nacre de ses gros doigts épais. Il avait refusé de s'asseoir dans le fauteuil portugais que la servante lui avait offert, n'ayant que faire des manières des farangs. Tout ce qui l'intéressait, pour l'heure, c'était de mettre la main sur Vichaiyen à qui il ménageait une ou deux surprises. Le traître s'était échappé mais on l'avait vu, sur une civière, embarquer sur un bateau en partance pour Ayuthia. Sans doute était-il venu se cacher dans sa propre maison.
Il ricana, anticipant le plaisir de l'attraper vivant et de le traiter à sa guise. Sachant son père accaparé par les affaires du pays, il l'avait persuadé de lui abandonner la recherche du Pra Klang. Petraja avait accepté à la condition expresse qu'il le lui remette dès qu'il l'aurait découvert. Mais Sorasak ne se sentait nullement lié par cette exigence et comptait bien prendre le temps de s'amuser un peu avec le prisonnier.
Il avait apprécié la manière dont son père adoptif avait provoqué le général Desfarges. Pour une fois, il s'était senti d'accord avec lui. Sorasak avait vu la flamme qui brûlait dans les yeux du farang quand il avait levé son gros derrière pour défier Petraja. Maintenant, le farang serait obligé de déclarer la guerre pour sauver la face et son père atteindrait ainsi son but : obliger les Français à tirer
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