Le dernier vol du faucon
l'aurez. Quant au seigneur Phaulkon, il n'est pas avec nous et nous ne pouvons donc vous le renvoyer. En ce qui concerne votre demande de regrouper mes forces à Louvo, je veux l'entendre de la bouche même de Sa Majesté. Je n'agirai que dans ces conditions. Et je ne quitterai pas cette pièce avant d'avoir parlé à mes deux garçons.»
Un murmure inquiet courut dans l'assistance. Petraja s'était levé en même temps que Desfarges, sans perdre son sourire. Quand le Français eut terminé, il se mit à rire, comme si ce dernier venait de prononcer une bonne plaisanterie, et plusieurs de ses courtisans l'imitèrent.
Desfarges connaissait assez bien le Siam pour deviner que Petraja cherchait à sauver la face et hésitait à le tuer. S'il avait voulu le faire, il n'avait qu'un ordre à lancer à l'homme derrière lui. Tout cela n'était que du bluff. Desfarges savait maintenant que les canons de la France étaient sa carte maîtresse.
«Au nom du roi de France, je demande à être conduit immédiatement auprès du Seigneur de la Vie. »
Son attitude pleine d'assurance et son regard de défi étaient explicites. Il fit un pas de plus vers Petraja.
D'une voix tremblante, l'interprète se décida enfin à informer humblement son maître que le général français demandait à rencontrer le roi avant de retourner au fort.
Le visage de Petraja ne changea pas d'expression. «Je dois m'informer d'abord de l'état de Sa Majesté», répondit-il suavement.
Il se tourna vers l'un de ses assistants et, d'un geste bref, l'envoya se renseigner.
«Où sont mes fils? Je veux les voir, insista le général.
- Vos fils sont nos honorables hôtes et seront traités avec respect jusqu'à votre retour. Vous pourrez les voir avant de partir.»
Un long silence s'établit jusqu'au retour de l'assistant qui informa Petraja que le Seigneur de la Vie était malheureusement souffrant.
Mais l'humeur de Desfarges n'était plus à la conciliation. «J'insiste néanmoins pour le rencontrer. Je veux m'assurer par moi-même que Sa Majesté est bien en vie. »>
Après avoir écouté la traduction, Petraja haussa les épaules, se tourna vers ses courtisans et prononça quelques mots à mi-voix qui les firent rire sous cape tandis qu'ils jetaient des coups d'œil entendus en direction de Desfarges. Petraja ordonna finalement à son assistant d'accompagner le général dans les appartements privés de Sa Majesté. On venait de lui confirmer que le roi était dans le coma, et il n'y avait guère de chance pour qu'il puisse s'entretenir de quoi que ce soit avec le Français.
En suivant son escorte vers le saint des saints, Deslarges ne pouvait savoir que la garde avait été changée. Accusés d'avoir voulu piller les inestimables trésors du roi, les gardes royaux attendaient d'être jugés au fond de leurs cachots. Ceux qui les remplaçaient étaient tous des hommes de Petraja. Ils saluèrent le général et le firent attendre dans l'antichambre, tandis que l'un d'eux allait s'assurer que le Seigneur de la Vie était bien inconscient.
Satisfaits, ils revinrent chercher Desfarges dont le visage affichait en permanence un air renfrogné. Péniblement, il se prosterna au pied du lit. La pièce était silencieuse et plongée dans la pénombre. Il crut voir deux visages de femme le regarder fixement.
Le garde qui l'avait accompagné, également prosterné, leva vers lui un regard interrogateur comme pour demander s il était prêt à partir. Le général l'ignora. Il n'avait aucune intention de se laisser manipuler. Un long silence s'installa, à peine interrompu par le mouvement des grands éventails et par le roulement étouffé d'un tambour montant d'un temple éloigné. Desfarges avait la nette impression que les deux femmes essayaient de lui communiquer quelque chose mais, en l'absence d'un langage commun, il ne pouvait savoir quoi.
Furieux, il réclama une nouvelle fois vainement la présence de son interprète. Puis il regarda les femmes et lut sur leurs visages une expression suppliante.
A quelques pas de là, un jeune courtisan prosterné dans un coin ne cessait de l'observer. Un espion de Petraja, sans doute, songea Desfarges. Pourtant le jeune homme affichait lui aussi un air implorant comme s'il voulait lui faire comprendre quelque chose.
Le garde de Petraja lui administra une petite tape sur le bras en montrant la porte, mais le Français écarta brusquement la main de l'homme en lui jetant un regard menaçant. Un léger bruit
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