Le dernier vol du faucon
pour réussir à approcher le roi, il fallait tenter de se faire
passer pour une concubine. Sa Majesté était maintenant installée dans les anciens appartements de Chao Fa Noi.
Sur les conseils de Vichai, elle s'était rendue directement dans le quartier des femmes pour retrouver son amie Wannee, l'une des anciennes favorites du monarque. Avec son aide, elle avait revêtu les plus beaux vêtements, s'était parée de bijoux, maquillée, parfumée. Wannee, en hochant la tête, lui affirma qu'elle avait fière allure.
Sunida parcourut ensuite un labyrinthe de couloirs faiblement éclairés à travers le harem royal, où languissaient inutilement tant de jeunes femmes, pour gagner les appartements de Chao Fa Noi situés de l'autre côté. Cela faisait longtemps que le jeune prince, envoyé en exil, ne les habitait plus. Et maintenant, il est mort, songea Sunida, désolée. Oh, Seigneur Bouddha, protégez celui que j aime !
Elle fut surprise de rencontrer plusieurs gardes de l'escorte royale d'élite, arborant leur brassard rouge. Ils l'accompagnèrent eux-mêmes jusqu'à la chambre du roi, manifestement amusés de voir le monarque suffisamment remis pour s'offrir à nouveau les faveurs d'une concubine.
Dans l'antichambre, Omun Sri Munchay, le fidèle et ancien Premier Gentilhomme de la Chambre royale, l'informa que plus de trente de ces «Bras rouges», comme on les appelait, étaient revenus servir le Seigneur de la Vie, outrés de le voir chassé de ses anciens appartements. Petraja avait commis là une grave erreur tactique et il évitait, à présent, toute confrontation ouverte avec les gardes du roi.
La voix du roi interrompit ses pensées, plus claire et plus tranchante que Sunida ne l'avait entendue depuis longtemps.
«Ah, Chuchit, nous t'attendions. Approche, petite souris. »
Sunida fut touchée que le Seigneur de la Vie ait songé à l'appeler d'un autre nom, afin de ne pas dévoiler son identité devant les gardes. Il y avait cer-
tainement des espions partout qui connaissaient ses liens avec Phaulkon.
Elle jeta un regard rapide autour d'elle, mais les esclaves présents, prosternés, avaient le visage enfoui dans le tapis persan. A son grand étonnement la sœur et la fille du roi étaient absentes. Elle se demanda ce qui leur était arrivé.
Elle rampa un peu plus près du lit, comme elle en avait reçu l'ordre. «Auguste et Puissant Seigneur, j'attends vos ordres. »
Elle sentit soudain une main se poser sur son épaule puis se déplacer lentement pour la prendre par le coude. Le Seigneur de la Vie cherchait à l'approcher de lui.
« Étends-toi près de moi comme autrefois, Chuchit. » Confondue, Sunida grimpa dans la couche royale et, toute tremblante d'émotion, s'allongea contre le corps émacié du tout-puissant monarque dont elle effleura la poitrine creuse. Une main décharnée saisit la sienne sous la couverture et la serra.
«Mets ta tête sur mon épaule comme tu avais l'habitude de le faire, petite souris. »
Ces paroles s'adressaient clairement aux espions, car Sunida n'avait jamais été une concubine royale. Elle obéit et sentit que la bouche du roi s'approchait de son oreille. Soudain, elle comprit. Faisant mine de lui chuchoter des mots tendres, le roi avait des choses à lui dire qu'elle seule devait entendre.
Honorée, elle se serra contre son corps ratatiné. La bouche contre son oreille, il murmura tout doucement : « Dans son obsession de capturer Vichaiyen, Petraja a commis une erreur. En usurpant le lit royal, il a choqué nombre de nos anciens gardes. Il nous faut profiter de cet avantage. Nous savons que Petraja attend Vichaiyen dans notre ancienne chambre dont, de ce fait, il ne peut sortir. Mais pour que Vichaiyen morde à l'appât, il faut que la convocation ait l'air de venir de moi et qu'il puisse se présenter avec l'escorte de son choix. Maintenant, écoute bien. Voilà notre plan... » Sunida écouta attentivement le roi lui exposer la
manœuvre qu'il avait conçue. Elle ouvrait parfois de grands yeux étonnés ou sentait une larme couler sur sa joue en entendant le Souverain de la Vie parler aussi affectueusement de Vichaiyen. Puis il la questionna à son tour et, à mi-voix, elle lui narra les souffrances infligées à Maria.
Quand arriva le moment de se séparer, le roi fouilla sous son oreiller et lui glissa discrètement dans la main deux magnifiques pierres précieuses en lui disant de les cacher entre ses jambes, là où personne n'irait les
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