Le dernier vol du faucon
détériorée ?
- Je le crains. Bien des choses se sont produites pendant votre absence, mon Seigneur. La meilleure nouvelle, c'est que Pra Piya s'est arrangé avec les jésuites. Il est prêt à se convertir. »
Phaulkon contrôla sa colère avant de répondre, maudissant intérieurement son absence.
«Le temps n'est pas encore venu, Maria. Le pays n'est pas prêt pour ce changement.
- Il n'est jamais trop tôt pour recevoir Dieu, Constant.
- Vous ne comprenez pas. De telles choses doivent être traitées avec la plus extrême prudence. Sa Majesté est-elle au courant de cela?
- Sa Majesté est trop malade.» Elle hésita. «Votre ami, le père de Bèze, a cessé de lui rendre visite.
- Comment?» s'exclama Phaulkon, interloqué.
Le silence de Maria ne fit que confirmer ses pires craintes. Il serra les poings. «Mais de Bèze allait chaque jour à son chevet avec les meilleurs remèdes venus de France. Le traitement accomplissait de véritables miracles ! »
Maria l'observa avec une certaine agitation.
« De Bèze a été empêché de poursuivre ses visites.
- Empêché ? Mais pourquoi ? Qui a donné cet ordre ?
- Malthus. Et les autres jésuites.
- Malthus? Je n'ai aucune confiance en lui. Comment diable ont-ils pu contraindre de Bèze?
- En le retenant de force à Avuthia et après en avoir décidé par un vote.
- Mais c'est scandaleux! Ils précipitent la mort du roi !» Il serra les dents. « Malthus me paiera ça. Où se trouve de Bèze, en ce moment?
- J'ai entendu dire qu'il s'était échappé.»
Phaulkon se tourna vers un serviteur prosterné à
la porte. «Pichai, rends-toi immédiatement au sémi-
naire et tâche de savoir où se cache le père de Bèze. S'il est à Ayuthia, ramène-le-moi immédiatement!
- Qu'il en soit fait selon vos ordres, Puissant Seigneur. »
Maria attendit que le serviteur ait quitté la pièce.
« Il est trop tard pour sauver le roi, Constant. »
Il lui jeta un regard dur. «On dirait que cela vous fait plaisir, Maria.
- Je n'approuve pas les méthodes de Malthus et je suis désolée pour sa Majesté, mais...
- Mais quoi ? Allons, dites votre pensée ! » Les yeux de Phaulkon jetaient des éclairs.
Elle hésita et sa voix trembla légèrement quand elle se décida à parler. «A la différence de vous, Constant, je suis une fervente catholique. Voilà pourquoi, tout comme les jésuites, je pense que vous ne parviendrez jamais à obtenir la conversion du roi. »
Il garda quelques instants le silence, s'efforçant de maîtriser le torrent d'invectives qui lui venait aux lèvres. Pourquoi fallait-il toujours en revenir là avec elle? «Le Seigneur de la Vie agit comme bon lui semble», finit-il par répondre en contrôlant sa voix.
Maria parut ne pas entendre. « Par ailleurs, Pra Piya est d'accord pour se convertir au catholicisme, reprit-elle, poursuivant son raisonnement. Et il est l'héritier du trône désigné par Sa Majesté.
- En tant que bouddhiste, peut-être. Mais pas comme catholique. Je connais le roi.
- Il m'arrive parfois de me demander, Constant, si vous souhaitez réellement voir un catholique régner au Siam... »
Décidément, l'attitude de Phaulkon l'exaspérait. Comment pouvait-il se montrer aussi négligent devant une question d'une telle importance ? Ne comprenait-il pas, comme elle, qu'il n'y avait qu'une seule foi, une foi pour laquelle ses illustres ancêtres avaient été martyrisés au Japon ?
«Rien ne presse, dit Phaulkon. Quand le moment sera venu, il sera temps d'agir.»
Elle prit un ton sareastique. « Et quand ce moment arrivera-t-il ?
- Sans doute quand les jésuites cesseront de s'en mêler. Une fois Pra Piya couronné roi, nous pourrons envisager pour le pays un changement aussi capital. Mais, en attendant, il doit rester bouddhiste. Son accession au trône est déjà bien assez incertaine comme cela.
- Même quand on sait que Sa Majesté a ordonné à Yotatep de l'épouser?»
Il eut un rire moqueur. « Elle n'y consentira jamais car elle est toujours amoureuse de son oncle. »
Maria plissa les yeux. « En somme, vous ne soutenez pas la candidature de Pra Piya?
- Pas en tant que catholique. Il n'aurait pas une chance et je ne veux pas voir une guerre civile déchirer le pays.
- Une guerre civile? répéta Maria, incrédule.
- Evidemment. Des hommes comme Petraja n'attendent que cela.
- Vous voulez dire que vous n'êtes pas prêt à risquer votre poste pour donner à ce pays la chance de
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