Le dernier vol du faucon
à faire le récit scrupuleux de tout ce qu'il avait entendu derrière le paravent le jour de la visite de Petraja. Il mentionna également que les communications ultérieures entre les deux complices devaient être signées «Dawee». Questionné durement par le roi, le garçon terrifié jura qu'il ne savait rien d'un complot visant à profaner ses vénérables restes.
Lorsque le souverain le renvoya après lui avoir fait jurer de garder à jamais le silence, le soulagement du jeune homme était manifeste.
Voyant que le Seigneur de la Vie retombait dans l'un de ses longs silences moroses, Phaulkon jugea plus prudent de se taire. Il ne percevait que trop bien le combat intérieur auquel se livrait son maître, devinant son chagrin, ses doutes. Peut-être Naraï espé-rait-il encore qu'il s'agissait d'un malentendu et que, bientôt, son vieil ami d'enfance se verrait innocenté. À la vérité, Phaulkon se sentait aussi malheureux que son maître.
Le roi reprit enfin la parole.
«Vichaiyen, tout au long de nos années de règne, nous n'avons jamais été confronté à un dilemme aussi cruel. Si tu as raison, nous perdons notre plus vieil ami et si tu as tort, notre meilleur Barcalon.
- Auguste et Puissant Seigneur, vous comprendrez combien j'ai souffert, moi aussi, en apprenant ces faits. »
Il y eut un autre soupir. «Et maintenant, que pro-poses-tu ?
- Auguste Seigneur, moi, un cheveu de votre tête, je suggère que l'on fasse venir un scribe et qu'on lui dicte une lettre qui sera signée Dawee.
- Et quel sera le contenu de cette lettre? s'enquit le monarque d'un ton las.
- Auguste Seigneur, la réponse vous fournira la preuve finale, irréfutable de mes accusations.
- Nous demandons quel en sera le contenu, insista le monarque.
- Auguste et Puissant Seigneur, moi, misérable grain de poussière, j'écrirai que la "sœur de Dawee" a été si indignée par la nouvelle de l'outrage comploté par ses deux frères qu'elle menace les coupables de sévères représailles, même si l'un d'entre eux est innocent. À moins que celui-ci lui écrive immédiatement, affirmant qu'il n'a jamais participé à un projet aussi affreux et renouvelant le gage de son inébranlable loyauté. »
Le roi resta un moment silencieux. «Et tu t'attends à ce que Chao Fa Noi, abusé par ce stratagème, nous réponde ?
- Auguste et Puissant Seigneur, c'est bien ce que je pense. »
Naraï laissa échapper un lourd soupir. «C'est bon, tu peux rédiger cette lettre en notre présence. Nous la ferons porter par un messager spécial, un homme de confiance, inconnu à la cour d'Ayuthia et qui ne révélera jamais son véritable mandataire. »
Pour la première fois depuis qu'il avait pénétré dans cette chambre, Phaulkon sentit sa tension se relâcher. Il misait sur le fait que Petraja devait certainement avoir informé Chao Fa Noi de son projet de lever une armée après que son frère débile, Apai
Tôt, aurait soi-disant menacé de profaner les restes du roi. Cependant, bien que Petraja ait assuré Sa Majesté que les deux frères étaient impliqués dars l'affaire - sans doute pour rendre la menace encoie plus pesante -, il n'avait bien entendu jamais avisé e prince qu'il l'accuserait lui aussi. Affolé, Chao Fa Noi s'empresserait de clamer son innocence. Avec cet e lettre, Phaulkon était certain de parvenir à son bit.
Il eût été toutefois inconvenant de demander pour l'instant à Sa Majesté d'annuler l'autorisation donnée à Petraja de lever des troupes. Il lui fallait d'abo d attendre le retour du messager muni de la preuve finale. Petraja avait besoin de temps pour rassembler ses hommes et il serait arrêté dans son entreprise bien avant d'y parvenir.
« Auguste Seigneur, puis-je faire appeler le scribe ? »
La réponse affirmative fut prononcée d'une voix glaciale.
15
Nellie et Mark s'installèrent dans la barque du général et se préparèrent à affronter les dix heures de voyage nécessaires pour gagner Ayuthia. La matinée commençait à peine, la température était encore supportable et un brillant soleil nimbait d'or les rives du Chao Phraya. Des pirogues chargées de denrées les plus diverses et pilotées par des vendeurs coi fés de larges chapeaux tournaient tout autour de la barque française, espérant apercevoir la mem et son jeune fils farang au visage recouvert de bandages.
C'était le roi qui avait offert au général Desfarges cette splendide embarcation. N'ayant pas coutume, comme
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