Le dernier vol du faucon
d'un gazon soigneusement entretenu. Certains bâtiments étaient en bois à la mode siamoise, d'autres en briques et de style européen. On y trouvait une école où l'on enseignait les Ecritures aux nouveaux convertis - en majorité des Siamois et quelques Cochinchinois, Annamites et Peguans -, ainsi qu'une chapelle. En face, un long bâtiment bas abritait les dortoirs des prêtres et le réfectoire. Des religieux en robe brune, pour la plupart français et portugais, mais aussi espagnols ou italiens, traversaient la cour à pas mesurés. Partout se devinaient le goût de l'ordre, le dévouement et le zèle religieux.
Nellie s'étonna de l'aisance et du confort des lieux. Mais il lui fut expliqué que le clairvoyant Naraï avait généreusement contribué à la construction de l'établissement, tout comme il soutenait, d'ailleurs, les autres religions pratiquées dans son pays.
Un serviteur du père Ducaze, posté tout exprès sur le chemin pour les attendre, les conduisit au bureau de son maître qui les accueillit chaleureusement. C'était un homme mince et pâle dont le visage anémique était pourvu d'oreilles démesurées. Après qu'un jeune domestique siamois au sourire timide leur eut servi de la citronnade, Ducaze s'enquit poliment de leur voyage. Intrigué par les pansements de Mark, il offrit les services d'un des frères ayant de bonnes connaissances médicales. Mais Nellie déclina poliment l'offre, expliquant que le médecin du fort avait déjà pris soin de son fils.
Le jésuite proposa de procéder sans délai à l'enquête, avant que la nouvelle de leur venue ne se répande comme une traînée de poudre.
« Deux de nos convertis ont, hélas, égaré leurs crucifix, expliqua-t-il. Une femme - et je ne crois pas que nous puissions la soupçonner - et un homme du nom de Manoon. Nous l'avons fait appeler. J'espère qu'il ne vous sera pas trop pénible de procéder à cette identification, madame.
- Je ferai de mon mieux, mon Père. Et Mark est ici pour me seconder. »
L'adolescent gardait le silence, mais elle le savait en alerte, tel un chien de chasse reniflant sa proie. Tandis qu'ils attendaient, elle contempla la pièce maigrement meublée. Une grande croix décorait l'un des murs et, sur un autre, courait une vieille étagère garnie de bibles. Nellie nota la présence d'un épais manuscrit rédigé en siamois, sans doute une traduction du Livre saint.
Le Père avait fait surveiller le suspect par une garde discrète. Lorsque l'homme pénétra dans la pièce, il regarda autour de lui d'un air indécis jusqu'à ce que ses yeux s'arrêtent sur la mem. Certes, il était mal élevé pour un Siamois de regarder ainsi une femme fixement, mais la curiosité fut la plus forte. La jeune femme soutint son regard.
Ducaze s'adressa à Manoon en siamois. « Pourquoi ne portes-tu pas ton crucifix?»
L'homme remua d'un air gêné. «Je... je l'ai égaré, mon Père. Je vais sûrement le retrouver. Il a dû tomber pendant que je travaillais. »
Le jésuite le fixa avec sévérité. « Et quand le portais-tu pour la dernière fois?
- Il y a bien... deux jours, mon Père...
- Vraiment? Dans ce cas, comment se fait-il que tu n'aies pas pris la peine de signaler sa perte?»
L'homme détourna les yeux.
«Eh bien?» insista Ducaze.
Manoon devenait de plus en plus nerveux. «J'espérais le retrouver. » Il jeta un coup d'œil furtif en direction de Nellie.
Sous bien des aspects, nota la jeune femme, tous les Siamois se ressemblaient avec leurs cheveux raides, leurs yeux noirs, leur peau lisse et brune pratiquement dénuée de toute pilosité. De petite taille, ils avaient un squelette fin et des membres bien proportionnés. Mais elle avait beau dévisager Manoon, elle ne retrouvait en lui aucun des traits de l'assassin de Malthus.
Elle interrogea Mark du regard et le vit secouer la tête.
« Je crains que cet homme ne soit pas celui que nous cherchons, mon Père, dit-elle enfin. Croyez-moi, je saurais reconnaître le coupable si je le voyais. C'est un visage que je ne suis pas près d 'oublier. »
La déception du père Ducaze et du lieutenant Sau-tier fut si manifeste que Nellie leva les mains dans un geste de résignation.
«Pardonnez-moi, mais il m'est impossible d'accuser un innocent ! »
Des coups brefs soudain frappés à la porte les firent tous se retourner. Ils aperçurent par la fenêtre ouverte un spectacle plutôt incongru dans l'enceinte d'un séminaire: des Siamois en armes bloquaient
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