Le dernier vol du faucon
que j'avais à dire. Le reste vous appartient. J'espère pour vous - et pour notre enfant - qu'avec le temps il sera prouvé que vous aviez raison.»
Les deux eunuques chargés d'accompagner Phaulkon le long du dernier corridor menant au Saint des Saints jetaient autour d'eux des regards anxieux. Plus ils approchaient des appartements royaux, plus les esclaves arboraient des mines soucieuses. Après avoir été introduit dans la chambre du Seigneur de la
Vie, le Barcalon y sentit une tension si oppressante qu'il crut, un instant, que Sa Majesté avait reçu un coup fatal.
Mais il se trompait, car le roi prit soudain la parole d'une voix exceptionnellement claire.
«Est-ce toi, Vichaiyen? Nous ne t'attendions pas si tôt. »
Le ton du monarque avait des accents inhabituels. Quelque chose n'allait pas.
« Auguste et Puissant Seigneur, c'est bien moi, votre humble esclave. »
Avec effort, le roi se souleva sur un coude. « Nous avons appris de terribles nouvelles, Vichaiyen. Nous sommes confrontés au pire sacrilège qui puisse être envisagé de mémoire humaine. »
Sa voix déchira l'air comme un coup de tonnerre : «Alors, que la maladie nous accable et que la mort nous menace, nous voici une nouvelle fois exposé à un outrage sans précédent. Nos deux frères ne nous ont pas bien servi alors que, dans notre grande clémence, nous les avons épargnés. Mais leur haine est si profonde - car nous avons refusé qu'ils nous succèdent sur le trône - qu'ils...» La voix fléchit. «... Qu'ils projettent de souiller et de profaner nos restes terrestres après notre mort et de les traîner honteusement à travers les rues. »
Épuisé par cet effort, Naraï retomba en arrière, les poumons en feu, cherchant désespérément une bouffée d'air.
Phaulkon n'en croyait pas ses oreilles. Si une pareille abjection s'avérait, l'angoisse du roi était plus que compréhensible. Il s'agissait là d'un terrible outrage. C'était pire encore que de refuser à un catholique une sépulture en terre chrétienne. Mais d'où pouvait bien venir cette stupéfiante information?
« Auguste et Puissant Seigneur, ce sont en effet des nouvelles choquantes. Moi, votre esclave, puis-je vous en demander la source ? »
La voix du roi n'était plus aussi claire à présent qu'il s'était déchargé de son lourd fardeau.
«Vichaiyen, notre source est sûre et ne peut être mise en doute. Je tiens ce fait effroyable de Petraja lui-même, qui l'a appris lors de sa visite à Ayuthia.»
Phaulkon sentit un frisson glacé le traverser. Un silence plana sur la pièce tandis que son esprit tournait et retournait toutes les implications entraînées par ce nouveau rebondissement. Obsédé par l'approche de sa mort, le roi ne serait guère enclin à accepter une autre version des faits. Dans de telles conditions, il pourrait même se révéler dangereux d'accuser Petraja.
Le silence, lourd et menaçant, pesait sur lui et une immense lassitude l'envahit.
La voix du roi lui parvint à nouveau de la montagne de coussins :
«Nous ne pourrons trouver la paix tant que cette affaire ne sera pas résolue, Vichaiyen. Aussi avons-nous autorisé Petraja, sur sa demande, à lever des troupes pour empêcher qu'un tel outrage soit perpétré. »
Phaulkon se sentit défaillir en découvrant cette ruse géniale. Petraja savait pertinemment qu'au seuil de la mort tout bon bouddhiste ne songeait qu'à ces cérémonies rituelles qui le délivreraient de son karma. La perspective d'une errance sans fin dans les ténèbres de l'au-delà était par trop effrayante. De plus, avec la décision du roi d'écarter ses héritiers légitimes, rien n'était plus plausible de la part de ceux-ci que l'idée d'une telle vengeance. Entre-temps, Petraja aurait atteint son objectif et levé ses troupes. Qui sait? Peut-être avait-il déjà commencé à recruter des hommes en prévision d'une guerre imminente.
Le seul espoir qui restait à Phaulkon était de révéler au roi - avec tout le tact nécessaire - le complot de Petraja : sa visite secrète à Chao Fa Noi et l'accord convenu sous le nom de Dawee.
«Auguste et Puissant Seigneur, puis-je humblement demander de qui le général tient cette terrible nouvelle ?
- D'une esclave au service de ma noble fille Yotatep. Les esclaves s'intéressent toujours aux affaires de leurs maîtres, et il se trouve précisément que celle-ci entretenait des relations intimes avec l'un des serviteurs de mon maudit frère. »
Phaulkon
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