Le dernier vol du faucon
action urgente soit intentée contre le Barcalon, car il était maintenant « tristement et irrévocablement clair que le seigneur Phaulkon ne tiendrait aucune de ses promesses». Le messager informa également le général qu'un des convertis avait bel et bien égaré son crucifix. Malgré l'inquiétude provoquée par ces révélations, Nellie jugeait que la situation tournait à son avantage. Ayu-thia se trouvait à mi-chemin sur la route de Louvo et elle faisait donc un grand pas en direction de son objectif.
Aussi fut-elle très déçue quand le général ordonna au lieutenant Sautier, chargé de les accompagner à Avuthia, de les ramener au fort avec le prisonnier. Pourquoi diable Desfarges avait-il donné cet ordre? Nellie jugea préférable de ne pas le lui demander, de peur d'éveiller ses soupçons. Il serait toujours temps de trouver sur place un moyen de se rendre à Louvo.
Comme s'il avait lu dans ses pensées, le général avait souligné qu'il comptait absolument sur son retour au fort pour discuter avec elle d'importantes questions qui les concernaient tous.
Nellie soupira en s'adossant à son siège, les yeux toujours fixés sur le paysage splendide qui se déroulait de chaque côté du fleuve. Faisant suite aux vergers fertiles, une riche et lumineuse végétation couvrait maintenant les rives du fleuve. Des troupes de singes s'ébattaient dans les arbres, des oiseaux aux couleurs inimaginables voletaient autour du bateau. Parfois, un rayon de soleil venait éclairer les flèches dorées d'un temple, souligner les délicates teintes vertes ou orange d'un toit. Parfois aussi, de petits groupes de moines vêtus de robes safran, le crâne rasé, suspendaient leurs activités pour regarder passer la majes-tueuse barque, se demandant sans doute à quel dignitaire elle appartenait. Un réseau compliqué de canaux striait le tapis vert tendre du paysage, délimitant les longues étendues des rizières à perte de vue. Des kar-baus y peinaient sous la conduite de jeunes garçons à la peau brune assis sur leur large dos.
C'était un spectacle tellement splendide que, pendant les premières heures du voyage, Mark et Nellie, éblouis, ne purent s'empêcher de pousser des cris émerveillés. Mais lorsque l'heure fut venue de déjeuner en compagnie du lieutenant Sautier et des deux jeunes soldats chargés de leur escorte, le soleil était déjà haut et la chaleur oppressante. Aussi préférèrent-ils abandonner leurs sièges pour se retirer sous un auvent et se reposer.
L'après-midi était déjà très avancé quand Nellie et Mark, debout sur le pont, contemplèrent, figés de stupeur, les imposantes murailles d'Ayuthia. Derrière les remparts massifs se dressaient vers le ciel plus de trois cents flèches dont les toits d'or étincelaient au soleil. De grandes portes perçant les murs épais se soulevaient pour laisser passer le trafic fluvial avant de se refermer aussitôt. A l'intérieur de cette immense enceinte, une multitude de canaux formait de fort utiles voies de communication.
Ayuthia, la Venise de l'Orient, bourdonnait d'une intense activité. Des enfants nageaient ou jouaient à s'éclabousser sur les rives, des femmes gracieuses se penchaient au-dessus de l'eau pour laver leurs longues chevelures noires, des jonques glissaient lentement, chargées de bois de teck provenant des forêts du Nord. Nellie et Mark virent aussi des barques chargées d'épices et de riz tandis que, dans de minuscules pirogues, des jeunes filles souriantes proposaient aux voyageurs des guirlandes de bienvenue.
«Demain, vous pourrez pénétrer à l'intérieur de la cité», promit le lieutenant Sautier en voyant combien ses protégés étaient fascinés. C'était un véritable mili-taire, au maintien impeccable, dont le visage était barré de sourcils noirs et broussailleux.
«Les portes ferment au coucher du soleil et nous devons d'abord nous rendre au séminaire qui se trouve en dehors de la ville. »
Ils accostèrent à un petit quai sous le séminaire situé dans les faubourgs. Il avait été prévu avec le père Ducaze, le supérieur du couvent, qu'ils seraient directement conduits à son bureau par un sentier peu fréquenté afin de ne pas attirer l'attention. La présence d'une femme européenne dans ces lieux de contemplation aurait fait l'effet d'une véritable bombe.
Le séminaire se composait d'un ensemble de bâtiments entourant une cour centrale bordée d'éclatantes bougainvillées et tapissée
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