Le dernier vol du faucon
bien supérieurs à tout ce qu'ils avaient déjà goûté depuis leur arrivée au Siam. Si certaines sauces étaient trop épicées à leur goût, les préparations - dont la plupart leur étaient inconnues -avaient une saveur exquise.
Il y eut un instant d'étonnement amusé lorsque, à la fin du repas, un esclave apporta un curieux instrument de cuivre pour le placer devant Mark.
C'était un hookah de style mauresque, richement ciselé. Les femmes n'étant pas censées fumer, Nellie n'eut pas ce privilège. A vrai dire, Mark n'avait lui non plus jamais eu le loisir de goûter au tabac. Mais il jugea que le moment était venu de s'y risquer. Comme il s'efforçait de se servir du hookah avec une évidente maladresse, des rires étouffés s'élevèrent dans la pièce et les deux esclaves maniant les éventails mirent une main devant leur bouche pour dissimuler leur amusement.
Les deux Anglais éclatèrent de rire à leur tour, ce qui détendit l'atmosphère. Mark finit par découvrir comment inhaler la fumée mais, à la première bouffée, il fut pris d'une quinte de toux si violente qu'il dut quitter précipitamment le divan, le visage écarlate. Inquiète, Nellie s'apprêtait à le suivre, mais Mark, d'un geste impératif, lui demanda de rester assise. Il jugeait avoir suffisamment perdu la face comme ça.
Cette fois, les esclaves s'étaient arrêtés de rire. Deux d'entre eux accompagnèrent le garçon jusqu'à sa chambre tandis que les autres tentaient de rassurer Nellie et de lui faire comprendre par signes qu'il n'y avait pas lieu de s'alarmer.
La jeune femme s'adossa alors à son siège, perdue dans ses pensées. Lorsqu'elle entendit marcher dans le couloir quelques minutes plus tard, elle pensa tout d'abord qu'il s'agissait de Mark. Mais, à la réflexion, les pas étaient trop légers pour être ceux d 'un homme. L'instant d'après, une femme apparut sur le seuil. Petite, mince, de type eurasien, elle était très jolie.
Élégamment habillée à la mode siamoise, elle portait de superbes bijoux au cou, aux poignets et aux mains. Sans doute s'agit-il d'une des concubines de Phaulkon, songea Nellie, sachant que sa femme résidait à Ayuthia.
En l'apercevant, la nouvelle venue s'arrêta brusquement pour l'observer avec curiosité. Puis, comme si elle se souvenait de quelque chose, elle lui sourit et s'avança vers elle avec assurance.
«Vous devez être cette dame anglaise qui a assisté au meurtre du père Malthus, dit-elle dans un anglais un peu hésitant. Je suis Maria de Guimar, l'épouse du seigneur Phaulkon.»
A ces mots, le cœur de Nellie bondit dans sa poitrine. C'était une situation si inattendue qu'elle en demeura comme engourdie, même si de multiples pensées occupaient son esprit. Que faire, à présent? Elle n'avait plus le temps d'alerter Mark afin qu'il se tienne à l'écart. Jusqu'ici, elle avait envisagé des douzaines de scénarios différents pour la scène des retrouvailles avec Constant - mais aucune en présence de son épouse.
Elle prit une profonde inspiration et réussit à sourire. «Je suis enchantée de faire votre connaissance, madame. Mais je vois que vous semblez déjà savoir qui je suis...
- Je ne connais pourtant pas encore votre nom, répondit Maria en prenant place à côté d'elle sur le divan.
- Nellie Tucker, madame. »
Maria sourit à son tour. «J'imagine combien il a été éprouvant pour vous d'être le témoin d'un crime aussi affreux, dit-elle d'une voix chaleureuse. Croyez bien que je suis de tout cœur avec vous. Si vous pouvez supporter d'évoquer une nouvelle fois ce terrible épisode, j'aimerais que vous me racontiez ce qui s'est passé. Voyez-vous, j'étais très proche du père Malthus. » Elle observa une courte pause. « Et, bien entendu, j aimerais savoir ce qui vous amène au Siam. »
Nellie allait répondre quand elle entendit les pas de
Mark dans le couloir. Elle fit un mouvement pour se lever, mais il était trop tard. Le cœur battant à tout rompre, elle se rassit, fit semblant d'ajuster son panung et entreprit de faire le récit du meurtre. Maria l'écoutait avec attention ; cependant, lorsque Mark pénétra dans la pièce, elle coula vers lui un regard intrigué. Dès lors, Nellie sut qu'elle ne 1 écoutait plus.
Maria fixait le jeune homme comme s'il s'était agi d'un spectre. Alarmé, Mark se figea, interrogeant du regard sa mère qui, paralysée elle aussi, semblait pour une fois à court d'idées.
Maria fut la première à
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