Le dernier vol du faucon
se ressaisir.
« Eh bien, jeune homme, asseyez-vous, et dites-moi qui vous êtes. »
Elle esquissa un sourire d'encouragement, mais Nellie devina qu'elle faisait un violent effort pour se contrôler. Mark regarda de nouveau sa mère qui baissa les yeux.
«Je m'appelle Mark Tucker, madame.
- Ainsi, vous êtes le fils de Mrs. Tucker?
- Oui, madame.
- Eh bien, asseyez-vous, Mr. Tucker. »
Mark s'exécuta et reprit timidement sa place sur le divan à côté de sa mère.
«J'ai entendu dire que vous vous étiez comporté courageusement sur le bateau. Vous semblez si jeune ! Quel âge avez-vous ?
- Seize ans, madame.
- Pas plus? Dites-moi, pourquoi votre père ne voyage-t-il pas avec vous pour vous protéger?»
Nellie finit par retrouver sa voix. «Mon mari est mort, lady Maria.» Elle avait volontairement prononcé le nom de Maria pour alerter Mark sur l'identité de son interlocutrice.
Celle-ci se tourna vers Nellie, affichant toujours le même masque de sympathie.
«Je suis désolée de l'apprendre, Mrs. Tucker. Votre deuil est-il récent ? »
Cet interrogatoire ne plaisait guère à Nellie, mais
elle ne trouvait pas d'échappatoire. Elle était certaine que Maria avait compris qui elle était.
«Mr. Tucker est mort il y a juste un an, madame.
- Oh, comme c'est tragique. Je présume que vous avez quitté l'Angleterre aussitôt après sa disparition. »
C'était plus une constatation qu'une question et Nellie ne vit pas la nécessité de répondre. Si Maria avait reconnu Mark, pourquoi jouait-elle ce jeu? Etait-ce pour les humilier tous les deux? A moins qu'elle ne cherchât à déconcerter le jeune homme dans l'espoir de lui arracher des confidences. Nellie avait lu quelque part que les Orientaux pratiquaient l'art raffiné de l'esquive, tournant autour d'un sujet épineux sans jamais l'aborder directement ou encore prétendant simplement qu'il n'existait pas. Mais la femme de Phaulkon commençait à pousser le jeu un peu trop loin.
Maria les regarda tour à tour. « Eh bien, puisqu'il semble que nous avons tous des questions urgentes à discuter avec mon mari, pourquoi ne l'attendrions-nous pas ensemble?»
Et elle s'adossa au divan, un sourire doucereux sur les lèvres.
18
À pied, le chemin était court entre le Palais et la demeure de Phaulkon, située non loin des murs massifs de l'enceinte royale. En cette belle fin de journée, les rayons obliques du soleil teintaient d'or les chapeaux à larges bords des marchands naviguant dans leurs petites pirogues chargées des produits qu'ils n'avaient pu écouler dans la journée.
Cheminant le long du fleuve avec pour seule escorte un groupe de vingt esclaves, le Barcalon regagnait sa demeure. Au Siam, il était d'usage qu'un dignitaire ne sorte jamais seul. Une suite d'esclaves l'accompagnait à chacun de ses déplacements, tant pour indiquer son rang élevé que pour sa protection personnelle. Lors des sorties officielles, chaque dignitaire était escorté par la totalité du personnel qui lui était attaché. Ainsi, quand le Seigneur de la Vie quittait son palais, pas moins de vingt mille esclaves se pressaient autour de lui. Mais pour une visite privée comme celle que Phaulkon venait de rendre à Sunida, une petite escorte suffisait.
Plusieurs des esclaves du Barcalon échangeaient entre eux des regards. Selon la loi, aucun d'eux n'aurait jamais osé adresser la parole à son maître à moins que celui-ci ne s'adresse à lui ; mais ils étaient inquiets de le voir aussi préoccupé. Absorbé dans ses pensées, il faillit même dépasser sa propre maison.
De fait, Phaulkon se reprochait d'avoir parlé à Sunida des sinistres augures de la mère Somkit. Il aurait dû se souvenir combien elle croyait à ces choses et se montrer plus réservé. Il n'avait pas été dupe des efforts qu'elle avait déployés pour le distraire. En réalité, Sunida s'inquiétait terriblement - et c'était de sa faute. Mais elle lui était devenue si proche qu'il avait pris l'habitude de ne rien lui cacher. Et c'était là une des nombreuses raisons pour lesquelles il l'aimait. Féminine, dévouée, elle savait aussi faire preuve d'une extrême finesse en matière de politique, ayant grandi à la cour de son oncle, gouverneur de Ligor - une ville d'un tel faste qu'on pouvait la comparer à Byzance. La Compagnie néerlandaise des Indes orientales y possédait un comptoir, et Sunida avait eu ainsi maintes occasions d'observer le comportement des farangs.
Constant
Weitere Kostenlose Bücher