Le dernier vol du faucon
maintenues ouvertes par des tiges de bambou, laissaient entrer une agréable brise.
Le cabinet de toilette n'était qu'une extension de la chambre limitée par un autre paravent. On y trouvait une grande vasque pour le bain et un profond bassin servant de latrine. Après que Nellie eut aidé Mark à se délivrer de ses bandages, ils s'aspergèrent tour à tour d'eau, savourant avec délices sa fraîcheur sur leurs corps brûlants. Puis ils se préparèrent longuement, trop occupés à cette tâche pour se lancer dans la conversation. Mark, le visage grave, s'était muré dans un profond silence tandis qu'il répétait en pensée les premiers mots qu'il échangerait avec son père. Nellie, elle, maudissait l'absence de ses bagages laissés à Mer-gui. La seule robe européenne qu'elle avait emportée avec elle étant trop froissée, elle n'avait pas d'autre choix que de se vêtir à la siamoise.
Elle choisit finalement un panung noir et un grand châle assorti lui drapant la poitrine. Voyant son hésitation, Mark l'assura que cette tenue la faisait paraître plus jeune, mettant joliment en valeur sa silhouette.
Il passa plus de temps encore que sa mère à se préparer, l'interrogeant à chaque instant pour lui demander son avis. Son visage était encore marqué de quelques contusions, à peine visibles cependant, et il était superbe dans son panung bleu orné de motifs et sa chemise de mousseline blanche décolletée en pointe et munie de larges manches trois-quarts. Dans cette tenue, il ressemblait à quelque valeureux corsaire prêt à tirer l'épée. Tous deux étaient pieds nus car, selon la coutume, personne ne devait porter de chaussures dans une maison siamoise. Même dehors, la majorité de la population allait nu-pieds. Seuls les mandarins avaient droit à des pantoufles aux bouts relevés.
Un coup discret frappé à la porte annonça l'arrivée d'un esclave. Front contre terre, il leur fit comprendre par gestes qu'ils devaient le suivre et les conduisit à travers un dédale de couloirs jusqu'à une grande pièce de réception où il leur indiqua discrètement un long divan au centre. Disposés sur des tables basses, des plats d'argent offraient le spectacle appétissant de mets les plus variés. Un délicieux parfum d'épices
flottait dans l'air. De jeunes servantes au sourire timide, poitrine nue, étaient agenouillées près des tables, tenant dans leurs mains des éventails de palmes.
Après que Nellie et Mark se furent installés sur le divan, les jeunes filles s'inclinèrent bien bas, veillant, selon le protocole, à ce que leur tête ne se trouve jamais plus haut que celle des visiteurs. Pourtant, malgré leur discrétion exemplaire, elles ne pouvaient dissimuler tout à fait leur immense curiosité à l'égard du jeune farang aux traits si semblables à ceux de leur maître.
La mère et le fils échangèrent quelques regards complices en contemplant la profusion de plats devant eux. Ils se servirent eux-mêmes, piochant un peu dans tous pour remplir leur bol de porcelaine. A peine les virent-elles saisir leur cuiller de nacre et commencer à manger que les esclaves se mirent aussitôt à les éventer. Nellie et Mark avaient l'impression de dîner dehors sous une brise chaude.
Tout en prenant leur repas, ils observaient à la dérobée le décor, admirant les ravissants cabinets laqués aux tons fanés par les ans, les tapisseries brodées de fils d'or représentant des scènes de guerre, et les longues étagères chargées de livres et de manuscrits anciens. Nellie se demanda comment un homme aussi occupé que le Barcalon parvenait encore à trouver le temps de lire autant. Mark, fasciné, ne pouvait détacher son regard d'une splendide maquette de bateau posée sur un socle de marbre, une jonque siamoise pourvue de voiles en forme d'ailes de chauve-souris. Un grand miroir de style français, au cadre richement décoré, ornait l'un des murs. Nellie et Mark auraient bien aimé s'y regarder, mais il n'était pas question de faire preuve d'une telle vanité devant les domestiques. Tapis dans tous les recoins de la pièce ou accroupis près de la porte, il y en avait partout. Leur nombre semblait incalculable.
Un peu intimidés, Nellie et Mark n'échangèrent que quelques mots à voix basse, de crainte d'être compris par un esclave parlant leur langue. Ils se deman-
daient aussi si tous ces domestiques n'étaient pas là pour les espionner. Les mets, cependant, s'avérèrent excellents,
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