Le dernier vol du faucon
quelque signe de reconnaissance. Seigneur! songea Phaulkon, je ne me sens pas préparé à affronter une telle situation...
«Je disais justement à Mrs. Tucker, il y a seulement un instant, combien la ressemblance entre son fils et vous était frappante, Constant, insinua Maria avec un petit rire lourd de sous-entendus. Naturellement j'ai précisé que, pour nous autres, Siamois, tous les farangs se ressemblent. » Ses yeux se rétrécirent quand ils se posèrent à nouveau sur Nellie. « Figurez-vous que mon mari ne cesse de me répéter que je ne pense pas comme les Siamois...»
Cela ne peut durer, songea Phaulkon, tandis que les souvenirs se bousculaient dans ses pensées. Nellie Summers... En la voyant ainsi vêtue à la mode siamoise, ses cheveux auburn flottant librement sur ses épaules, il ne l'avait pas reconnue. Autrefois, elle portait des nattes. Elle était aussi fraîche qu'une fleur du Dcvonshire et il l'avait adorée. Nellie... le premier grand amour de sa vie.
Son attention se reporta sur le jeune Anglais. Quel était son nom, déjà? Dans sa confusion il avait oublié ce que Maria avait dit. Ah oui, Mark... Pas étonnant que le garçon ait l'air aussi tendu. Mon Dieu, depuis combien de temps attendait-il ce moment? Constant imaginait sans peine son angoisse, son émotion...
Malgré le choc d'une telle surprise, il n'allait pas fuir devant ses responsabilités - même devant Maria. Il n'était pas encore l'heure de penser aux conséquences qu'une pareille situation n'allait pas manquer d'entraîner.
Il s'avança vers le jeune homme en arborant son plus chaleureux sourire. Mark attendait, incertain, un rideau de larmes voilant ses yeux.
« Bienvenue au Siam, Mark, dit Phaulkon. Je suis enchanté de te voir. » Il le regarda avec bienveillance. «Jusqu'à cet instant, j'ignorais ton existence. Je crois que nous avons pas mal de choses à rattraper, toi et moi. »
Il lui tendit les bras. N'osant croire à sa chance, Mark n'hésita qu'une petite seconde. Timidement, il fit un pas en avant, tomba dans les bras de son père et se mit à sangloter sur son épaule. Le père et le fils restèrent un long moment enlacés.
Ils se ressemblaient tant qu'on aurait pu les prendre pour deux jumeaux, à quelques détails près : un peu plus grand que Constant, Mark avait des cheveux aussi épais et bruns que les siens mais plus indisciplinés. Une larme coula sur la joue de Nellie, mais le visage de Maria demeura de pierre.
Mon fils... déjà presque un homme, songea Phaulkon, en étreignant le corps solide de son enfant. Qui aurait jamais pu imaginer cela? Soudain il se raidit. Mark sentit le changement et leva les yeux vers lui. Phaulkon venait de se souvenir des paroles de mère Somkit, la vieille devineresse. Elle avait donc deviné le nombre exact de ses enfants... C'était étrange... troublant. Et dire qu'il avait ri d'elle, croyant qu'elle se trompait !
Il fouilla son cerveau pour se remémorer ce qu'elle avait dit d'autre. Ne l'avait-elle pas averti de se méfier de la mère de son enfant? Mais de laquelle? S'agissait-il de Nellie ou de Maria? Pauvre Nellie, comme elle avait dû souffrir... L'épreuve l'avait-elle rendue vindicative ? Le contraire serait surprenant. Il pouvait s'imaginer ce que cela avait dû représenter pour elle d'être une mère célibataire dans un pays aussi puritain que l'Angleterre. On avait dû la traiter de catin. Quelle sorte de vie avait-elle dû endurer? Peut-être était-elle venue jusqu'ici pour le tuer...
Il se souvint qu'il lui avait promis de lui écrire et ne l'avait jamais fait. Mais il ignorait tout de cette grossesse. Et puis... il avait eu bien d'autres préoccupations en tête. L'ambition avait été son seul moteur, tout au long de son existence.
À moins que le danger ne vienne de Maria? Il l'observa du coin de l'œil et surprit son regard méprisant.
«Eh bien, Constant... commença-t-elle, la voix légèrement tremblante, on dirait que l'enfant que je porte n'est pas votre premier-né. »
Son ton était si hostile que Mark se tourna vers elle.
« Madame, je sais que ma présence ici doit être un choc terrible pour vous. Je souhaite cependant que vous ayez de l'indulgence pour les sentiments que j'éprouve à cet instant. C'est la première fois que je vois mon père depuis que je suis né, il y a seize ans de cela. »
Maria grimaça un sourire. «Oh ! mais je comprends fort bien, jeune homme. Vous ne pouvez être tenu pour responsable de la
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