Le discours d’un roi

politiciens, d’avocats ou, d’ailleurs, d’hommes de Dieu, fit l’objet d’une plus grande attention. C’est en Amérique que le mouvement suscita l’engouement : Yale et Harvard créèrent des cours d’élocution distincts dans les années 1830, et, au cours de la seconde moitié du siècle, cette matière était devenue obligatoire dans de nombreuses institutions à travers les États-Unis. Dans les établissements scolaires, on mit particulièrement l’accent sur la lecture à voix haute, et l’on veillait expressément à la qualité de l’articulation, de l’énonciation et de la prononciation. Tout cela allait de pair avec un intérêt pour les arts oratoires et la rhétorique.
    En Australie, le développement de ce mouvement fut également lié à la divergence croissante entre l’anglais local et la version qui était parlée en Grande-Bretagne. Pour certains, le caractère distinctif de l’accent australien était un symbole de fierté nationale, surtout après le regroupement des six colonies en une fédération le 1 er  janvier 1901, qui aboutit à la formation du Commonwealth d’Australie. Mais beaucoup de commentateurs n’y voyaient cependant rien de plus qu’un signe de paresse. « L’habitude de parler la bouche constamment à demi ouverte est une manifestation supplémentaire du “sentiment de lassitude” national, se plaignait un auteur dans le Bulletin, un hebdomadaire australien, au tournant du siècle dernier 4 . Nombre de péquenauds les plus typiques ne ferment jamais la bouche. C’est souvent un symptôme d’adénoïdes post-nasaux et d’une hypertrophie des amygdales ; l’affection australienne caractéristique. »
    L’accent du sud de l’Australie, avec lequel Logue avait grandi, était plus particulièrement pris pour cible, puisqu’il lui était reproché d’être « un hybride d’américain, de terroir irlandais, de cockney, de paysan et d’anglais mal parlé ». Il se caractérisait par une « paresse de la langue », et le besoin urgent de « communiquer autant que possible au moyen des sons les moins variés et les plus aisés ». Cette paresse était manifeste dans la tendance à tronquer les phrases et à ne pas articuler.
    En 1902, à l’âge de vingt-deux ans, Logue devint le secrétaire et l’assistant de Reeves, tout en étudiant au conservatoire Elder, fondé en 1898, « dans le but d’offrir un système d’enseignement complet dans l’Art et la Science de la Musique », grâce à un don du riche philanthrope d’origine écossaise, sir Thomas Elder.
    Comme son professeur, Logue commença à donner des récitals ; il s’impliqua également dans le théâtre amateur. Dans la soirée du 19 mars 1902, il eut l’occasion de faire la démonstration de son talent dans les deux disciplines au YMCA II d’Adélaïde. « La salle était comble, et le public ne cacha pas son admiration, put-on lire le lendemain dans l’ Advertiser, le quotidien local. M. Logue a l’air jeune, mais sa voix est claire et puissante, et il occupe la scène avec élégance. Dans ses choix, il a montré un talent dramatique considérable – pourtant loin d’avoir encore atteint sa maturité – et un sens artistique dans son incarnation des personnages et sa narration des histoires. » Le critique du journal ajouta que Logue avait eu du succès dans chacun des poèmes et des extraits qu’il avait déclamés, et qu’il avait été brillant dans Edinburgh After Flodden III , de W. E. Aytoun.
    Si Logue fut fier de ces louanges, sa joie fut assombrie par la tragédie : le 17 novembre de la même année, son père mourut des suites d’une longue et douloureuse maladie. Il fut emporté par une cirrhose à l’âge de quarante-sept ans. Le lendemain, l’ Advertiser publiait sa nécrologie, et la foule vint nombreuse à ses funérailles.
    À vingt-trois ans, Logue se sentait désormais assez sûr de lui pour s’établir comme professeur d’élocution à Adélaïde. « Lionel Logue nous prie d’annoncer qu’il a entamé la pratique de sa profession, et qu’il sera présent en son cabinet, au n° 43, Grenfell Buildings, Grenfell Street, à compter du 27 avril. Brochure sur demande », explique l’annonce publiée trois jours plus tôt dans l’ Advertiser. Dans le même temps, il continuait ses récitals et créa même la Compagnie dramatique et comique Lionel Logue.
    Le 11 août 1904, l’ Advertiser publia une critique particulièrement