Le Druidisme
unique,
mais à trois visages, de Minerve, et une position hors-classe et hors-fonction
dans Mercure. En un mot, ces dieux gaulois – et donc irlandais – sont
incompréhensibles en dehors de la fonction sociale qu’on leur attribue. On peut
conclure de cela que les figures divines présentées dans les récits
mythologiques sont des projections symboliques et imagées – nécessaires pour le
récit – des activités fonctionnelles qui ont cours dans le groupe social.
On a remarqué que, dans la complexité des récits épiques
comportant des vestiges de mythologie, ou franchement mythologiques, il n’y a
rien qui puisse faire penser à une cosmogonie, ou à une théogonie. La naissance
du monde n’est jamais évoquée, ou si elle l’est, c’est par suite de la
christianisation, avec une volonté délibérée et maintes fois répétée de
« raccrocher » la tradition irlandaise à la tradition biblique. S’il
y a des éléments de cosmogonie, ils ne peuvent être qu’étrangers à la tradition
celtique primitive. Il en est de même pour la théogonie. Les références à une
filiation hébraïque, qui apparaissent tardivement dans les textes, et qui ont
fait des ravages depuis [337] , correspondent
à cette même volonté de faire biblique coûte
que coûte. Mais on ne voit jamais l’origine des dieux. Ils abordent en Irlande,
c’est tout, et, au fur et à mesure, ils sont remplacés par d’autres dieux qui
abordent, eux aussi, qui s’emparent de l’île, quitte à en être chassés après,
comme c’est le cas pour les Tuatha Dé Danann. Il doit bien y avoir une raison à
tout cela.
Cette raison, c’est que tous les dieux sont druides. Et si
tous les dieux sont druides, tous les druides sont
dieux . Mais ce sont des hommes. Certes, ces hommes sont assez
exceptionnels et ils sont décrits comme ayant de redoutables et merveilleux pouvoirs.
Mais c’était la meilleure façon de rendre compte, d’une façon claire et imagée,
de la puissance intellectuelle, spirituelle et magique, de la classe
sacerdotale druidique. Tuân mac Cairill, qui est l’un des rares personnages de
l’épopée à se métamorphoser de façon radicale (à tel point qu’on a pu croire à
une certaine forme de métempsychose), est peut-être le meilleur exemple de ce
druide-dieu qui traverse les siècles, porte témoignage de ce qu’il a vu,
transmettant ainsi la tradition (ce qui est le rôle du druide). Et ce qui est
le plus significatif, c’est que, lors de sa dernière incarnation, parmi les fils
de Mile, c’est-à-dire les Gaëls, il raconte, d’après le récit qui le concerne,
toutes ses aventures à saint Patrick, se fait baptiser et meurt en parfait
chrétien. La conclusion est logique : le druide-dieu ne sert plus à rien,
puisqu’un nouveau druide-dieu est venu apporter le message de Foi et de
Résurrection. Patrick, témoin du Christ, donc du dieu inconnu d’autrefois qui
s’est manifesté, remplace tous les druides, donc tous les dieux. C’est l’une
des raisons fondamentales pour lesquelles les Irlandais, jamais envahis par les
Romains, tenus à l’écart des mutations de l’Europe, se sont convertis, sans y
être obligés, aussi facilement à la religion chrétienne [338] .
Cette constatation n’est pas une vue de l’esprit. Une
lecture attentive des textes apporte une confirmation totale. Même les héros
qui n’apparaissent pas comme des druides, sont des druides, donc des dieux.
Dans le récit de la Courtise d’Émer ,
Cûchulainn dit que le druide Cathbad l’a instruit jusqu’à ce qu’il soit
« versé dans les arts du dieu du druidisme » [339] .
Il y a donc un processus d’initiation, qui correspond à une héroïsation, dans
le but de connaître les « arts » du dieu du druidisme, c’est-à-dire
le druide primordial. Et ce druide primordial ne peut être que le dieu unique
et multiple, innommable, qui est à l’origine de toute connaissance et de toute
création, puisque connaissance égale création. Le monde, pour les Celtes, n’est
pas autre chose que le druidisme, et les pratiques culturelles sont les éléments
qui assurent la création continue et perpétuelle du monde.
Dans cette optique, on peut comprendre que, dans la doctrine
druidique, Dieu n’est pas, il devient . Et ce
devenir englobe le monde, dont les druides se présentent comme les régulateurs.
Dieu a besoin des hommes. Il s’agit du Dieu innommable bien sûr, celui qu’on ne
peut enfermer dans les
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