Le Fardeau de Lucifer
trêve serait beaucoup mieux avisée.
— Cela a déjà été tenté alors que Montfort était en route et ils sont revenus bredouilles, tu le sais aussi bien que moi.
— Alors envoyons-en une autre !
— Elle aura le même résultat. Les croisés nous assiègent et ils n’ont aucune raison de desserrer leur emprise alors que tout leur sourit.
Le nouveau venu dévisagea les officiers et ses yeux s’arrêtèrent sur moi.
— Qui es-tu ? s’enquit-il sans la moindre politesse. Je ne te connais pas.
Je me levai et m’inclinai poliment.
— Gondemar de Rossal, sire, je.
— L’apostat de Cabaret ? coupa-t-il dédaigneusement.
Il se retourna vers Roger Raymond sans m’accorder plus d’attention.
— Voilà que tu accueilles des chrétiens parmi tes hommes, maintenant ?
— Je préfère les chrétiens fidèles à notre cause aux cathares à la foi fragile, rétorqua sèchement Foix. Et que je sache, tu n’as jamais dédaigné passer dans leur camp quand c’était à ton avantage.
Outré, l’inconnu devint écarlate d’indignation. Il se redressa avec un mélange surfait de dignité et d’autorité.
— Comment oses-tu ?
— Je n’ai rien dit qui ne soit véridique et tu le sais fort bien.
— J’interdis cette sortie, tu m’entends ? hurla l’homme rouge de colère en agitant un index menaçant.
— J’en prends bonne note, sire Raymond. De ton côté, tu serais prudent de ne pas oublier que les troupes de Toulouse me sont dévouées.
Raymond Roger laissa s’écouler un significatif silence. La menace était implicite, mais palpable.
— Parce qu’elles savent de quel côté de la clôture je me tiens, compléta-t-il.
Tel un poisson, l’autre ouvrit et ferma la bouche, visiblement à la recherche d’une répartie qui ne lui venait pas.
— Tu me le paieras ! éructa-t-il.
Puis il tourna brusquement les talons, rejoignit ses hommes qui étaient restés à l’entrée et sortit en trombe, sa cape virevoltant derrière lui.
— Qui était cet énergumène ? m’enquis-je auprès de Roger Bernard, qui était assis à ma gauche.
— L’inénarrable Raymond VI, comte de Toulouse, de Saint-Gilles et de Rouergue, duc de Narbonne, marquis de Gothie et de Provence, fils de Constance de France et neveu de feu le roi Louis VII de France. Tu viens de le voir dans toute sa gloire, répondit-il avec un mépris qu’il ne cherchait pas à dissimuler.
Nous poursuivîmes nos discussions jusqu’à tard dans la soirée et nous nous quittâmes dans l’enthousiasme. Au lieu de me rendre à ma chambre, je choisis d’aller prendre l’air. Je m’assis sur les marches du châtelet, admirant le ciel étoilé. Quelques minutes plus tard, Roger Bernard apparut en tenant une cruche de vin et deux gobelets.
— Je croyais bien te trouver quelque part. Tu n’as pas sommeil, toi non plus ? demanda-t-il.
Je lui répondis par un hochement de tête silencieux et il s’assit près de moi.
— Je suis toujours anxieux avant la bataille, me confia-t-il.
— Mon maître d’armes m’a enseigné voilà longtemps que c’est la peur qui nous garde en vie.
— Alors il était bien sage. J’ai pensé que tu aimerais boire un coup. Tu es preneur ?
— Avec plaisir.
Il remplit les deux gobelets et m’en tendit un.
— À notre succès, dit-il.
Nous trinquâmes et restâmes un moment sans parler.
— Que signifiait cette scène entre ton père et le comte de Toulouse ? m’enquis-je enfin.
— Ce n’était pas la première et certes pas la dernière non plus, ricana le jeune Foix. Disons que, pour tout ce qui concerne la défense de Toulouse, ils ne voient pas les choses du même œil.
— Comment cela ?
— Le comte de Toulouse est un homme qui voit d’abord à ses propres intérêts.
— C’est ce que j’ai cru comprendre, dis-je en me rappelant ce que m’avait dit de lui Arnaud Amaury, voilà longtemps, et ce que m’avait raconté Eiquem de Castres plus récemment. Il semble balancer d’un camp à l’autre comme un roseau au vent.
— Plutôt comme une vieille putain flétrie qui brade son cul pour une misère au plus offrant, cracha Roger Bernard. Voilà huit ans, le pape a décidé qu’il en avait assez de ce qu’il appelle l’hérésie et il a dépêché trois légats dans les terres du Sud : Arnaud Amaury, que tu
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