Le Fardeau de Lucifer
ressembles beaucoup à ta tante Esclarmonde.
— Je sais, on me l’a souvent dit. Cela aussi, je le prends comme un compliment.
Elle désigna de la tête le linge qu’elle tenait toujours.
— Je portais ceci à l’infirmerie. Accompagne-moi. Nous en profiterons pour faire plus ample connaissance.
Elle se mit en marche et je m’empressai de la rejoindre.
— Tu sais, un galant homme m’aurait offert depuis longtemps de porter mon fardeau pour moi, dit-elle avec un sourire espiègle qui me ravit.
— Oh ! Bien sûr. Où avais-je la tête ?
Embarrassé, je saisis la pile de linges et, dans mon empressement, j’en fis tomber quelques-uns sur le sol. Retenant le reste de mon mieux contre ma poitrine, je me penchai pour les ramasser et elle en fit autant. Nos têtes se frappèrent légèrement et je faillis tomber à la renverse. Je ne conservai mon équilibre qu’en me penchant vers l’avant et, pendant une seconde qui me parut une éternité, nos visages se trouvèrent si proches l’un de l’autre que je pus sentir son parfum et son souffle.
— On dit que tu es un redoutable guerrier, dit-elle sans chercher à reculer. J’espère pour toi que tu tiens ton épée plus fermement que les guenilles.
Elle rit de nouveau, de ce rire qui m’allait droit au cœur, et nous nous relevâmes. Je sentais mes joues qui brûlaient, ce qui la fit rire encore davantage. Il avait suffi de quelques mots, d’une odeur, d’un effleurement et j’étais envoûté.
Nous nous mîmes en route et j’essayai désespérément de trouver un moyen d’alimenter la conversation, mais ma tête était un gouffre sans fond.
— Tu es une Parfaite ? finis-je par demander en désignant les linges.
— Moi ? Pas du tout. Mais nous sommes en guerre et chacun doit faire sa part. La mienne est de laver les linges dont ils font des pansements. J’aide aussi parfois à prendre soin des malades.
— C’est très noble de ta part.
Nous marchions très lentement et elle ne semblait pas plus pressée que moi d’atteindre sa destination.
— Ton père et ton frère ne m’avaient pas mentionné ton existence.
— Cela ne m’étonne guère. Ils veillent sur moi comme le pape sur son or. Mon père me garde en réserve pour un mariage avantageux qui accroîtra le domaine familial. Il a l’œil sur le Comte Bernard de Comminges. Quant à mon frère, la prunelle de ses yeux ne lui est pas plus précieuse que ma vertu et je plains celui qui y attentera.
— Cela te déplaît ?
Elle s’arrêta, posa ses beaux yeux bleus dans les miens et ses paupières papillotèrent adorablement.
— J’aime savoir qu’ils tiennent à moi, dit-elle en haussant les épaules, mais disons que je préférerais être libre de choisir celui que j’aimerai. Notre foi nous enseigne que la chair est un mal nécessaire et que le mariage est sans importance. Alors pourquoi diable lui en accorder autant ? Mon bonheur vaut plus que quelques terres, il me semble. Et puis, les Parfaits nous enseignent qu’hommes et femmes sont égaux. Un jour, j’aimerais bien que l’un d’eux m’explique pourquoi, alors, un homme, fût-il mon père, peut avoir le droit de disposer de ma personne comme s’il s’agissait de sa propriété.
Je ne pus m’empêcher d’admirer son indépendance d’esprit, qui la rendait encore plus séduisante.
— Voilà des vues fort novatrices. Et si tu devais choisir ? m’entendis-je demander, aussi surpris que si la question était venue de quelqu’un d’autre. Quel genre d’homme voudrais-tu ?
Elle me posa une main sur le bras et le caressa doucement.
— La question demande réflexion, dit-elle en faisant une moue adorable. Hum. Disons que les vieux boucs auxquels me réserve mon père ne m’attirent guère. Je voudrais un homme jeune et courageux. Quelqu’un qui a fait ses preuves. Un homme droit sur lequel je pourrais compter.
— Cet animal ne court pas les rues.
— Alors, à plus forte raison, il faut saisir celui qu’on a la chance de croiser, non ?
Nous restâmes un moment immobiles, en pleine rue, à nous dévisager en silence. Le temps semblait avoir interrompu son cours. Le plaisir que j’éprouvais à me perdre dans les yeux de Cécile de Foix était une sensation tout à fait inédite pour moi et je n’aurais rien demandé de mieux que de m’y abandonner pour l’éternité. Le souvenir de Pernelle, de
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