Le Fardeau de Lucifer

mort ne serait peut-être que tourment. Mais les quelques heures que je dormis, cette nuit-là, furent les plus belles de ma vie. Chaque fois que je m’éveillais, je trouvais Cécile blottie dans mes bras, son nez enfoui dans ma nuque.
    La réalité n’avait pas disparu pour autant. Bien avant l’aube, j’étais éveillé et fébrile. J’allumai la chandelle pour y voir clair et j’allais me lever lorsque je remarquai le visage renfrogné de Cécile. Elle regardait fixement la marque sur mon épaule gauche, laissée là par Métatron.
    —    Comment as-tu eu ça ? s’enquit-elle en en suivant le contour du bout des doigts.
    —    Un brigand, jadis, s’est amusé à me marquer, mentis-je.
    —    C’est la croix cathare.
    —    Je sais. Je l’ai vue souvent depuis que je suis dans le Sud.
    Je sentais qu’elle allait ajouter quelque chose, mais elle se ravisa. Je me levai pour m’habiller.
    —    Promets-moi que tu reviendras, supplia-t-elle, anxieuse, alors que j’ajustais mon ceinturon.
    —    Un homme prudent ne fait jamais de telles promesses avant le combat, répondis-je. Et même si je reviens, crois-moi, tu seras mieux sans moi.
    —    C’est à moi d’en juger, rétorqua-t-elle avec fermeté.
    J’allais sortir lorsqu’elle m’arrêta.
    —    Gondemar ?
    Je me retournai.
    —    Je t’aime, dit-elle simplement.
    —    Au revoir, Cécile, marmonnai-je avant de sortir.
    Le cœur gros, je rejoignis les troupes. Comme prévu, une fois le fossé comblé, les croisés s’étaient attaqués à la muraille. Cachés sous les chattes, des maçons avaient travaillé comme des forcenés à affaiblir la pierre et le mortier à la chaleur de la flamme pour ensuite les briser et créer des accès. Les Toulousains avaient résisté avec enthousiasme, versant de l’huile bouillante en abondance sur les assaillants et bouchant les ouvertures avec des pierres et du bois aussi vite qu’elles étaient pratiquées. Après deux journées d’efforts, les hommes de Montfort n’étaient pas plus avancés.
    En me voyant arriver, Roger Bernard me prit en charge et m’entraîna vers l’armurerie où je choisis une cotte de mailles, des gants de cuir épais qui me protégeaient les avant-bras, un heaume à nasal et un écu long aux couleurs des Foix : trois lignes rouges verticales sur fond jaune. Ainsi équipé, je rejoignis le comte Raymond Roger sur la muraille au moment où il chiffonnait rageusement un parchemin.
    —    De quoi s’agit-il ? m’enquis-je.
    —    Une ultime directive du comte Raymond m’intimant de ne rien tenter contre les croisés. Ce pleutre ne veut pas indisposer l’Église avec laquelle il tente sans doute encore de se réconcilier.
    —    Et ?
    Il jeta le parchemin chiffonné au sol.
    —    S’il choisit de baisser ses braies pour se faire enculer par le pape, grand bien lui fasse. Innocent ne dédaigne pas la chose, raconte-t-on. Quant à moi, le jour n’est pas encore venu où je regarderai Toulouse être prise sans me défendre.
    Étonné de constater qu’il n’était pas en armes, je l’interrogeai du regard.
    —    Mon fils insiste pour conduire lui-même la sortie, expliqua-t-il avec une moue contrariée. Il prétend que je suis plus utile ici, derrière la muraille, mais m’est avis qu’il me trouve trop vieux.
    —    Votre fils est sage et vous aime assez pour souhaiter que vous restiez en vie, sire. Sans chef, Toulouse est perdue.
    —    Il a sans doute raison. Je me fais vieux pour le combat alors que lui est né pour cela. Tu constateras vite que, malgré son jeune âge, Roger Bernard sait fort bien prendre soin de sa personne, ricana-t-il.
    Sur l’entrefaite, le jeune comte fit son apparition.
    —    Tout est en place, père, déclara-t-il.
    —    Bien. Alors que Dieu vous protège.
    Roger Bernard serra son père dans ses bras, l’embrassa sur les deux joues et se détourna sans autre forme de cérémonie. D’un pas déterminé, il descendit de la muraille et s’en alla rejoindre les deux cents cavaliers toulousains qui formaient notre petite unité de choc. Ils attendaient en piaffant d’impatience sur leurs montures, derrière la porte qui s’ouvrirait bientôt pour les vomir sur les croisés. Je le suivis et trouvai Sauvage qu’il avait fait amener pour moi. Je le montai et tirai Memento.
    —    Tout le monde est en place ? m’enquis-je auprès du jeune comte.
    —    Tous