Le Fardeau de Lucifer
tel un chaton naissant, afin de m’assurer que personne n’était là. Mais les nuages masquaient la lune et je n’y voyais goutte. Evidemment, une torche, en plus de révéler ma présence, se serait éteinte en moins de deux. J’abaissai mon capuchon pour tendre l’oreille, mais le bruit de l’orage, ponctué d’assourdissants coups de tonnerre, était tel que je ne pouvais pas davantage entendre. Pour le peu que j’en pouvais juger, la voie paraissait libre, mais la situation était loin d’être idéale. Je quittai ma cachette et, dans le noir, m’avançai prudemment vers la place, aux aguets.
Je n’avais fait que quelques pas lorsqu’un éclair aveuglant illumina l’endroit. Je m’arrêtai net. À l’autre bout de la place, il m’avait semblé apercevoir une silhouette qui approchait. Le moment avait été si bref que je ne pouvais être entièrement sûr de ce que j’avais cru voir, mais, par précaution, je retournai aussitôt vers ma cachette. Là, j’attendis le prochain éclair. Lorsqu’il vint, mes soupçons se confirmèrent. Un individu encapuchonné marchait sur la place. Puis la pénombre retomba.
Les éclairs me révélèrent une succession d’images figées et saccadées. L’inconnu se rapprochait. Il semblait très petit. Presque un enfant. Son manteau détrempé lui collait au corps. Il était prudent et avançait en regardant sans cesse d’un côté et de l’autre, comme s’il craignait d’être surpris. Il s’arrêta devant la dalle et regarda autour de lui. Il s’accroupit, la souleva avec une petite dague, regarda nerveusement aux alentours et y déposa quelque chose. Un papier ou un petit paquet. Puis il replaça la dalle.
J’étais paralysé par l’indécision. Mon premier réflexe fut de me révéler au Cancellarius Maximus et de le confronter pour hâter les choses, mais je me contrôlai. Depuis le retour de la Vérité dans la terre natale, il existait dans l’anonymat absolu. Il était le seul à connaître l’emplacement des deux parts. De cette manière, le secret avait été maintenu, malgré les tentatives de l’Église de le percer. Le bousculer ne ferait peut-être que l’effaroucher et je ne pouvais courir le risque de le voir bloquer ma seule piste vers la seconde part. Malgré mon impatience, je résolus donc de jouer le jeu et d’attendre qu’il soit reparti pour prendre possession de son message. Au moins, les choses progressaient.
Un nouvel éclair explosa et je me figeai sur place. Trois hommes avaient surgi dans le plus récent intervalle de noirceur. L’un d’eux avait saisi le Cancellarius Maximus par le cou et le retenait pendant qu’il se débattait comme un diable. Le second tirait une dague avec une intention on ne peut plus claire. Le Chancelier saisit à deux mains la lame qui était destinée à sa gorge, se coupant sans doute cruellement les mains, mais repoussant temporairement sa mort. Le troisième homme, lui, semblait indifférent à ce qui se passait autour de lui. Il n’en avait que pour la dalle marquée du sceau, qu’il soulevait avec un petit couteau.
Les paroles de Métatron me revinrent en tête : Cesse de fanfaronner et agis, car le temps presse. En ce moment même, les ennemis de la Vérité sont sur sa piste, et ils sont de plus en plus nombreux. Ils viennent de toutes parts et tu ne les vois même pas. Je me secouai, détachai mon manteau pour éviter qu’il ne gêne mes mouvements, tirai Memento et m’élançai à la rescousse du Cancellarius Maximus. S’il mourait, toutes mes chances disparaîtraient avec lui.
Profitant de la noirceur, je m’approchai sans être vu. Ma nature et mon entraînement firent le reste. L’homme à la dague ne vit pas venir Memento. Lorsqu’il leva les yeux, la dernière chose qu’il vit fut mon visage avant que ma lame ne le transperce. Entre-temps, le deuxième homme avait lâché le Chancelier et tiré son arme. Un éclair providentiel me permit de l’apercevoir et je parai sans trop de difficulté le coup qu’il me destinait. Mon poing gauche s’écrasa sur son nez et ses yeux se révulsèrent. Il serait sans doute tombé de lui-même, mais Memento, animée de cette volonté qui lui semblait propre, lui traversa le ventre pour émerger dans son dos.
Je me retournai pour faire face au dernier agresseur, mais il avait disparu. Un éclair vint à mon aide. Il était déjà rendu au bout de la place et allait se perdre dans les petites rues. Indécis, je jetai un
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