Le Fardeau de Lucifer

   En mon absence, Renat se chargera d’apprendre l’emplacement de la Vérité. À mon retour, je disposerai d’une monnaie d’échange encore plus grande.
    Il se tourna vers Cécile et lui adressa une courbette dérisoire.
    —    Demoiselle de Foix, bienvenue chez moi. J’aurais préféré t’accueillir dans d’autres circonstances, crois-moi. Tu es si jolie.
    —    Tu en es déjà à ta cinquième épouse, vieux bouc lubrique, cracha Cécile.
    —    Bof, on n’a jamais assez de fendaces à empaler. Ça garde le guilleri en santé. Malheureusement, je me suis laissé dire que ton sillon se faisait déjà labourer avec une ardeur peu commune par sire Gondemar. Ventre-Dieu, l’heureux ruffian ! Je l’envie, je l’avoue. Mais quel dommage, tout de même, de penser qu’un si joli petit féminage pourrait finir enceinté par une queue de petite noblesse du Nord. Enfin, les goûts ne se discutent pas, je suppose.
    Il détailla à nouveau Cécile des pieds à la tête.
    —    Heureusement, à quelque chose malheur est bon. Tu es bien entêté, sieur de Rossal. Mais tout homme a un point faible. Le tien, si je ne m’abuse, est enchaîné à ta gauche. M’est avis que tu seras beaucoup plus sensible aux souffrances de ta mignotte qu’aux tiennes propres.
    Je tentai de garder ma contenance, malgré ce que je venais d’entendre. Le vieux venait de m’annoncer qu’il allait torturer Cécile pour me faire parler. Comme Montfort avait fait violer Pernelle par Raynal pour m’arracher l’emplacement de la seconde part. Ces maudits croisés et leurs affidés ne reculaient devant aucune ignominie.
    Mon regard se porta sur Cécile. Je croyais la trouver terrifiée, mais son visage était impassible. Je ne pouvais pas tolérer qu’une innocente paie à nouveau pour moi. Et puis, l’enjeu ne le justifiait pas. Montfort savait déjà où se trouvait la première part de la Vérité et, même sous la torture, ma tendre amie ne pourrait révéler où se trouvait la seconde, puisqu’elle l’ignorait. Je décidai de jouer le tout pour le tout en lui dévoilant une information déjà connue de tous ceux pour qui elle avait de l’importance. Avec un peu de chance, il mordrait à l’hameçon et s’empresserait de la rapporter à Montfort. Et moi, je gagnerais du temps.
    —    Pas la peine de lâcher ta bête sur cette petite. Une part de la Vérité est conservée à Montségur, déclarai-je d’une voix égale en le regardant droit dans les yeux. En ce qui concerne l’autre, je ne le sais pas plus que toi.
    Le vieil homme arqua un sourcil, visiblement étonné. Puis un sourire narquois lui fendit le visage.
    —    À Montségur. répéta-t-il avec cynisme. Vraiment. Tu as soudain la langue bien pendue. Tu te laisses battre pendant des heures sans mot dire et, pour le cœur d’une donzelle, même de bonne famille, voilà que tu craches le morceau à la première menace ? La tentative est louable, mais ne me prends pas pour un nigaud.
    Je sentis la panique monter en moi. Je venais de lui révéler ce qu’il souhaitait savoir et il ne me croyait pas. Je n’avais rien d’autre à marchander contre la survie de Cécile.
    —    Puisque je te le dis !
    Il se dirigea vers la porte et l’ouvrit. Avant de la franchir, il se retourna.
    —    Les bons soins de Renat te ramèneront à de meilleures dispositions. À mon retour, dans quelques jours, nous discuterons plus longuement. D’ici là, je te salue.
    Il sortit, nous laissant seuls avec son molosse, qui n’attendait que cela. Renat m’adressa un sourire terrifiant puis se tourna vers Cécile, qu’il détailla lascivement en se pourléchant grossièrement les babines. Celle-ci le regarda avec l’arrogance typique des Foix, ne lui donnant pas la satisfaction de lui laisser voir sa peur.
    Le tourmenteur étudia avec intérêt chacun de ses instruments, les soupesant à tour de rôle. Il arrêta finalement son choix sur une paire de pinces, s’approcha de Cécile et lui adressa un sourire pervers.
    —    Ne la touche pas, maudit chapon dépravé ! m’écriai-je en tirant de tout ce qu’il me restait de forces sur mes chaînes. Tu m’entends ? Je t’arracherai les yeux ! Je planterai ta tête stupide au bout d’une pique !
    Il ricana, mais ne me regarda même pas. Il saisit plutôt la main gauche de Cécile, immobilisa son index entre ses gros doigts et appliqua les pinces sur la première jointure, juste au-dessus de