Le Fardeau de Lucifer
mais.
— Alors ?
— Je ne faisais qu’obéir aux ordres.
— Aux ordres ? Mais aux ordres de qui ? Explique-toi, que diable !
Cécile inspira profondément, cligna des yeux à plusieurs reprises et sembla organiser ses idées. Elle était étonnamment calme, ce qui m’intriguait encore plus.
— Si j’en crois mon père, tu connais Esclarmonde de Foix, dit-elle.
J’acquiesçai de la tête, autant parce que mes lèvres me faisaient souffrir que parce que j’étais trop sidéré pour répondre.
— Quand j’avais douze ans, ma tante m’a laissé entendre qu’elle était impliquée dans quelque chose de très secret, sans toutefois me révéler de quoi il s’agissait. Ce que tu ignores peut-être, poursuivit-elle, c’est qu’elle n’est pas la seule, ni la première. Depuis un siècle au moins, certaines familles anciennes des terres du Sud forment un réseau qui assure la survie de notre religion. Parmi celles-ci figurent les Foix. Les hommes combattent et défendent la terre ancestrale, comme mon père et mon frère. Les femmes, elles, agissent dans l’ombre. Elles travaillent à préserver les bases de notre foi en accomplissant les gestes qui leur sont demandés. Tous acceptent que cela peut être au prix de leur vie.
Je savais tout cela, bien entendu, mais je me gardai bien de le lui dire. Le rôle des familles anciennes dans la création de l’Ordre du Temple et de l’Ordre des Neuf, dans la découverte de la Vérité en Terre sainte, dans son rapatriement dans le Sud et dans sa protection, m’avait été révélé lors de mon initiation à l’Ordre des Neuf. J’avais tenu dans mes mains tremblantes les preuves de leur succès et j’en connaissais les implications. Maintenant, comme Magister, j’en étais l’infortuné responsable.
— Quand tu as surgi sur la place pour t’en prendre à mes agresseurs, ajouta-t-elle, j’ai compris que tu trempais dans la même soupe qu’Esclarmonde.
Ne pouvant lui avouer que j’étais même celui qui brassait la soupe en question, je me contentai de la laisser poursuivre.
— Parmi toutes les anciennes familles cathares, les Foix ont un statut particulier. À chaque génération, une femme est désignée pour jouer un rôle plus important que les autres. Avant Esclarmonde, il y eut sa mère, Cécile Trencavel.
— Et maintenant, toi, complétai-je.
— Après moi, il y en aura une autre, si les circonstances l’exigent toujours. Ma tante m’a affirmé qu’un jour je lui succéderais. À quoi ? Je l’ignore.
Moi, je le savais. Esclarmonde avait laissé entendre à Cécile, autant qu’elle le pouvait, qu’après sa mort elle la remplacerait au sein de l’Ordre des Neuf. Mais, par Dieu, si j’avais le moindre mot à dire, je la tiendrais aussi loin que possible de cette folie.
— Que faisais-tu sur la place ? demandai-je.
— Quand j’étais encore fillette, tante Esclarmonde passait de temps à autre par Toulouse pour prêcher. Elle me vouait une affection particulière et je le lui rendais bien. J’aimais la sérénité et la bonté qu’elle dégageait. Elle consacrait de longues heures à me raconter l’histoire de notre famille, particulièrement celle des femmes, à m’instruire sur la foi, mais aussi sur les choses politiques. Elle m’a appris que Toulouse était essentielle aux cathares et qu’un personnage très important y protégeait un précieux secret qui ne devrait jamais tomber entre des mains chrétiennes.
Je me rappelais le fait qu’Esclarmonde avait toujours semblé en savoir davantage sur le Cancellarius Maximus que ce qu’elle avait bien voulu me dire. Après tout, n’avait-elle pas été chargée de me transmettre les instructions destinées au Magister après mon élection ? Ce que m’apprenait Cécile me le confirmait.
— Un jour, elle m’a mis quelque chose dans la main, continua-t-elle, et a refermé mes doigts dessus. Puis, en serrant mon poing dans le sien, elle m’a fait jurer sur le souvenir de tous les membres de notre famille morts pour notre foi de ne jamais révéler l’existence de ce qui s’y trouvait. Je l’ai fait, évidemment. Lorsque j’ai rouvert la main, j’y ai trouvé une bague en argent portant un sceau.
— Laisse-moi deviner : la croix cathare, la croix templière et les lettres C et M ?
Cécile me regarda un moment, l’air interdit. Puis elle avisa sa main gauche et son visage prit une
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