Le Fardeau de Lucifer

retirée de mon gosier et le géant me libéra.
    —    S. sire Bertrand ? balbutia Ugolin.
    —    Lui-même, incluant la jambe de bois que tu lui as faite, gros balourd ! s’esclaffa mon maître, derrière lequel se tenait Raynal, l’épée au poing.
    —    Alors. si vous êtes vous. lui c’est.
    —    Gondemar, grognai-je.
    Le Minervois m’empoigna par les épaules, me remit sur mes pieds puis me serra dans ses bras en me soulevant dans les airs.
    —    Nous t’avons cherché partout ! Je croyais avoir affaire à des croisés ! Si j’avais su que c’était vous !
    Il me déposa et son sourire disparut dès qu’il vit l’expression de mon visage.
    —    Nous ? dis-je, extrêmement contrarié.
    —    Euh.
    —    Oui, nous ! fit la voix de Pernelle derrière moi.
    Je me retournai pour la voir émerger de la nuit. Intérieurement, je me mis à bouillir. Ma mâchoire se serra tant que mes molaires se fendirent presque. Mes poings se fermèrent et s’ouvrirent convulsivement. Je dévisageai Ugolin, dont la tête rentra dans ses énormes épaules et qui prit l’air penaud d’un enfant fautif. Je savais fort bien qu’il n’était pas à blâmer. Le gros bonasse avait été une proie trop facile pour Pernelle, dont l’entêtement était à nul autre pareil.
    —    Nom de Dieu de merde ! m’écriai-je. Je t’ai ordonné de demeurer à Montségur ! Es-tu sourde ou seulement bête ?
    —    Pfff ! rétorqua Pernelle. Magister ou pas, tu ne croyais tout de même pas que j’allais te laisser courir au massacre ?
    —    J’ai parlé sous l’abacus ! insistai-je.
    —    Ce bâton joliment décoré ? Ce n’est qu’un joujou de soldat prétentieux, rétorqua-t-elle avec un sourire de défiance.
    —    Les croisés de Montfort rôdent aux alentours. Vous allez repartir immédiatement et.
    D’un pas déterminé, Pernelle franchit la distance qui nous séparait et vint se planter devant moi, les poings sur les hanches, le visage relevé pour me faire face, dans cette attitude entêtée et défiante que je ne connaissais que trop bien.
    —    Je n’ai pas passé des semaines à vous rafistoler, toi et le gros grognon détestable, seulement pour que vous puissiez retourner vous faire tailler en pièces ! s’écria-t-elle.
    —    Nous irons où nous voudrons et cela ne te concerne pas ! rétorquai-je. Tu ne vas quand même pas tuer Montfort à notre place ?
    Pernelle se mordilla les lèvres et hésita. Elle inspira profondément et sembla prendre une décision.
    —    Les Parfaits rejettent la violence, tu le sais, reprit-elle. Mais Montfort est un monstre et je fais le pari que Dieu ne tiendra pas rigueur à celui qui mettra fin à ses jours.
    —    Et alors ?
    —    J’ai apporté mon coffre de médicaments.
    Je haussai les épaules et les sourcils, ne comprenant pas où elle voulait en venir.
    —    Il y a mille moyens de donner la mort sans s’approcher de quelqu’un, Gondemar, chuchota-t-elle.
    —    Tu veux dire. l’empoisonner ?
    —    Pourquoi pas ? J’ai conservé la belladone de Daufina. Le mélange est déjà prêt, dans une fiole. Il suffira de le verser dans une boisson ou sur son repas.
    —    Mais. ton salut ?
    —    Dieu nous a tous dotés d’une conscience. Je suis la mienne. Tuer un monstre pour sauver mon ami tout en aidant la cause du Sud. la transaction me semble acceptable.
    —    Sans oublier le vieux bouc que tu aimes tant ! ajouta Montbard en riant.
    Pernelle et moi nous dévisageâmes, aucun ne voulant être le premier à baisser les yeux. Et en même temps, je me sentais triste et honteux. Ma douce amie mettait son salut en jeu pour moi. Une fois encore, je risquais de causer la perte de quelqu’un que j’aimais. Beaucoup trop de destins étaient liés au mien.
    Montbard me posa la main sur l’épaule.
    —    Il ne sert à rien de fermer l’écurie une fois que le cheval a été volé, jouvenceau, dit-il. Il est trop tard pour les forcer à rebrousser chemin. Leurs chances de tomber dans les pattes de Montfort sont bien trop grandes. Et puis, la petite démone a une fort bonne idée. Prenons-les avec nous. En nous hâtant, nous pourrons mettre dame Pernelle en sécurité dans Toulouse, puis revenir à la rencontre des croisés. Nous éventrerons Montfort ou nous l’empoisonnerons, selon le cas. Ugolin pourra jouer au prisonnier, lui aussi. Ça nous fera un bras de plus. Qu’en