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Le Fardeau de Lucifer

Le Fardeau de Lucifer

Titel: Le Fardeau de Lucifer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Hervé Gagnon
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tête d’un bataillon mené par Thiébaut, comte de Bar et de Luxembourg. En chemin, il a incendié Castelnaudary et pris la forteresse de Montferrand, que défendait Baudoin, le frère du comte Raymond. Dans trois jours, tout au plus, la ville sera assiégée. Si tu as deux sous d’esprit, mon ami, retourne d’où tu viens.
    J’avais pleinement conscience de foncer tête baissée vers une cité qui deviendrait ma prison, mais cela n’avait aucune importance en comparaison de la nécessité de retrouver la piste de la Vérité.
    Nous étions à deux jours de Toulouse lorsque nous croisâmes les premières traces tangibles de l’approche des croisés. Au crépuscule, nous cherchions un endroit sûr pour la nuit lorsque Montbard, qui chevauchait à ma droite, me désigna l’horizon d’un geste de la tête. Je suivis son regard et aperçus ce qui avait retenu son attention. Au loin, un arbre mort émergeait de la plaine. Ses branches dénuées de feuilles portaient d’obscènes fruits que, même à cette distance, je reconnus sans difficulté.
    — Les hommes de Montfort sont passés avant nous, remarqua mon maître d’une voix enrouée par la colère.
    J’éperonnai Sauvage et me lançai au galop, suivi de mes deux compagnons. Nous eûmes tôt fait de franchir la distance et nous arrêtâmes si brusquement que nos chevaux se cabrèrent et firent lever un nuage de poussière.
    Je n’arrivais pas à détacher mon regard de la scène lugubre qui se déployait devant moi. La lumière rougeoyante du soleil couchant illuminait les cadavres d’une famille entière. Le père, la mère et trois enfants, dont un encore au sein, avaient été pendus. Les orbites vidées par les oiseaux qui avaient picoré les yeux, la langue gonflée saillant entre les lèvres, le visage et les membres ensanglantés et à demi dévorés, ils oscillaient dans la brise. Perchés sur les branches les plus hautes, des corbeaux croassaient leur indignation de voir leur festin interrompu. Un peu plus loin gisaient les carcasses d’une dizaine de moutons.
    —    Ils ont dépecé les bêtes pour en emporter la viande, dit Raynal.
    —    Et ils ont tourmenté les bergers pour se divertir, ajouta mon maître.
    Nous restâmes longtemps pétrifiés à la vue de ces innocents suspendus à leur branche. J’avais fait bien pire, et plus d’une fois. Pourtant, je ressentais une tristesse mêlée de lassitude. Avais-je changé à ce point depuis ma résurrection que le sort d’innocents inconnus m’importait ? Ta conscience t’accompagnera et te tourmentera sans cesse, m’avait averti Métatron. Or, avec la conscience venaient la culpabilité, l’empathie et le remords. Elle était un morceau d’enfer que j’avais rapporté avec moi parmi les vivants et que je devais traîner comme un lourd boulet enchaîné à ma cheville.
    Montbard fut le premier à se secouer et à descendre de sa monture.
    —    Ne les laissons pas là, grommela-t-il. Ils méritent mieux.
    Raynal et moi suivîmes son exemple. Pendant que mon
    maître descendait les corps et les allongeait sur le sol, grimaçant de dégoût en tenant le nourrisson dans ses bras, nous arpentâmes les alentours pour ramener des pierres dont nous recouvrîmes les cadavres. Nous travaillâmes dans un silence respectueux, oubliant notre propre fatigue. Lorsque notre tâche fut achevée, Montbard amorça une prière pour le repos de l’âme de ces inconnus. Dès les premiers mots, ma gorge se serra et la douleur m’étouffa. Par respect pour les innocents qui en bénéficieraient, j’endurai mon mal.
    Notre macabre tâche accomplie, nous reprîmes notre chemin et chevauchâmes encore une heure avec une prudence accrue, détenant désormais la preuve irréfutable que des croisés rôdaient aux alentours. Une fois arrêtés près d’un petit bois, nous nous assîmes en nous gardant de faire un feu qui révélerait notre présence.
    —    Montfort et ses troupes ne peuvent pas être bien loin, déclara Montbard. Avec un peu de chance, nous les trouverons dès demain et, avec l’aide de Dieu, nous pourrons occire ce monstre.
    —    En effet, répondis-je en tentant de masquer ma contrariété.
    Ce qui me préoccupait était le fait que les croisés risquaient
    de me couper le chemin vers le Cancellarius Maximus. Montbard et Raynal, eux, ne désiraient pas atteindre Toulouse. Pour eux, notre objectif était les troupes chrétiennes. J’étais coincé. Je devais maintenir

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