Le faucon du siam
rester un moment.
Maintenant, je veux que vous me racontiez tout sur la vie au palais. Depuis
combien de temps êtes-vous une concubine royale?
— Depuis l'âge de quatorze ans, ma Dame : toute ma
vie d'adulte.
— Et quand avez-vous commencé à voir votre
capitaine?
— Je l'ai rencontré voilà près d'un an, ma Dame,
mais je ne l'ai pas vu plus d'une demi-douzaine de fois. Il est très difficile
de quitter le palais.
— Je croyais que les concubines royales ne pouvaient
jamais en franchir les murs.
— Officiellement, elles ne le peuvent pas, répondit
Thepine en souriant. Mais quelques-unes d'entre nous y parviennent. » Puis, se
rappelant sa stratégie, elle prit aussitôt un air contrit. « Je ne le reverrai
plus, ma Dame. Je veux reprendre ma vie vertueuse. » Elle jeta à Maria un
regard implorant. « Allez-vous donner une autre chance à cette pécheresse ? »
Maria sourit. Qui donc cette femme essayait-elle de
duper? Elle n'avait pas la moindre intention de reprendre une vie vertueuse,
pas plus que Maria ne comptait prendre le voile.
« Peut-être, Pi, si vous me dites tout ce que j'ai envie
de savoir.
— Je ne garderai aucun secret pour vous, ma Dame.
— Alors très bien. Pour commencer, pouvez-vous me
dire tout ce que vous savez sur Luang Sorasak? Qui est-il et est-il beau? »
Thepine hésita. « C'est... mon neveu, ma Dame. Je n'ose
pourtant affirmer qu'on puisse le qualifier de
beau. » Thepine décida de ne donner aucun détail
supplémentaire. Le moment ne lui semblait guère venu d'évoquer par le menu son
caractère méchant et vindicatif, sa soif de pouvoir et ses fugues pour aller
boxer incognito dans les campagnes.
Maria ouvrit de grands yeux. « Alors, vous êtes
apparentée au général Petraja? » Voilà qui devenait intéressant.
— C'est mon frère, ma Dame. »
Mon Dieu, songea Maria, si les compositeurs de chansons
du quartier portugais pouvaient mettre la main sur cette femme! Et dire que
pendant tout ce temps ils avaient écrit des couplets sur une simple concubine
du palais. En voilà, une nouvelle! Elle se demanda si même son oncle était au
courant.
Elle se tourna vers Thepine. « Mais, dites-moi Thepine,
où habite Luang Sorasak?
— Dans une aile du palais, ma Dame.
— Au palais ? » Maria l'ignorait. Dire qu'elle
aussi, comme Thepine, aurait pu se retrouver enfermée comme les autres, sans
jamais plus revoir le monde extérieur, prisonnière et complotant de temps en
temps une évasion pour aller retrouver son amant portugais ! Certes, de toute
façon elle n'aurait jamais accepté l'offre de Sorasak. Pas étonnant que son
oncle eût été si furieux de la proposition de ce dernier.
« Le palais ! répéta-t-elle. Mais comment se fait-il
qu'il habite là-bas ? »
Thepine hésita. Ce serait de la haute trahison que de
révéler de tels secrets. Mais cette fille semblait prête à l'aider : si elle
était aussi friande de ces révélations qu'elle en avait l'air, peut-être
serait-elle disposée à la remercier en faisant venir le docteur Daniel.
« Madame, Luang Sorasak est officiellement mon neveu.
Mais, en vérité, il est le fils du Seigneur de la Vie lui-même, né d'une femme
du Nord qui a partagé la couche de Sa Majesté durant les campagnes de Birmanie.
Elle était de trop basse extraction pour qu'on la reconnût comme étant la mère
: on a donc remis l'enfant à mon frère pour qu'il l'élève comme le sien. Vous
comprendrez évidemment, ma Dame, que je vous dise tout cela sous le sceau de la
plus stricte confidence. Je pourrais être exécutée pour avoir divulgué de tels
secrets. »
Maria battit des mains avec ravissement, comme elle avait
souvent vu son oncle le faire. « Soyez rassurée sur ce point, Pi. Je ne
raconterai rien. » Elle adressa un grand sourire à Thepine. Quel intéressant
après-midi! Cela compensait presque toutes ces monotones journées au couvent.
Elle priait que son oncle ne rentrât pas trop tôt pour venir lui gâcher cette
occasion.
« Mais, dites-moi, Pi, comment passez-vous vos journées
au palais ? » Maria s'imaginait toujours que toutes les autres femmes avaient
une vie plus brillante et plus excitante qu'elle, même ces dames emprisonnées
derrière les murs du palais.
Thepine réfléchit un moment. Devait-elle révéler sa
mission de former Sunida? Elle ne le pensait pas. N'avait-elle pas juré de ne
rien en dire ? Même si cela pouvait amener cette fille curieuse à être
davantage prête à
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