Le faucon du siam
parcourait. « Je croyais avoir entendu la dame dire
qu'elle vivait à proximité du palais, non pas à l'intérieur de l'enceinte,
dit-il en se tournant d'un air méfiant vers Maria.
— C'est ce que j'avais compris aussi, mon oncle.
Peut-être n'a-t-elle pas voulu nous intimider. »
Mestre Phanik semblait de plus en plus méfiant.
Maria priait le Ciel qu'il ne reconnaisse pas le nom de Thepine.
Elle se tourna vers le docteur Daniel. « L'ordre est
signé de Son Altesse Royale la princesse Yotatep en personne, insista-t-elle.
Et la nuit commence à tomber, docteur. »
En entendant citer le nom de Yotatep, Thepine prit dans
sa bourse deux pièces d'or qu'elle avait préparées tout exprès.
« Son Altesse Royale m'a demandé de donner ceci à
l'Honorable Docteur en récompense de ses services », expliqua-t-elle à Maria.
Tout en écoutant la traduction, le chirurgien lorgnait
les pièces d'un air de convoitise. C'était bien plus que ne valait un examen. Mestre Phanik allait demander de nouvelles explications quand le chirurgien
pivota sur ses talons en faisant signe à Thepine de le suivre.
« Si nous devons être de retour avant le coucher du
soleil, il nous faut partir », dit-il en s'inclinant brièvement devant mestre Phanik et Maria. Thepine salua bien bas Maria et suivit le docteur,
laissant derrière elle mestre Phanik qui tentait vainement de les
rappeler.
Le jeune garde en faction à la porte du palais fut le
premier à la repérer. « Mon capitaine, cria-t-il, tout excité, je vois arriver
une dame. Il y a un farang avec elle. Ce doit être elle. » Le capitaine
accourut aussitôt.
« Tu as raison. C'est elle. Va la chercher. »
Le jeune se précipita et accosta Thepine.
« Quelque chose ne va pas ? demanda-t-elle en dissimulant
son angoisse.
— Vous feriez mieux de parler vous-même au Seigneur
Capitaine, ma Dame. Suivez-moi, je vous prie. » Thepine se tourna rapidement
vers le chirurgien et lui fit signe.
Le docteur s'éloigna à grands pas, trop heureux de
pouvoir partir. Il avait nettoyé la plaie, puis refait le pansement et, malgré
les pièces d'or, il avait juré que c'était la dernière fois qu'il voyait
Thepine. Les risques étaient trop grands.
Le capitaine de la garde attendait Thepine à la porte. Il
la salua. « Le Seigneur de la Vie a donné l'ordre que vous regagniez
immédiatement les appartements royaux. » Thepine sentit son cœur s'arrêter de
battre. « Des messagers sont venus deux fois vous chercher », ajouta-t-il d'un
ton menaçant.
Au prix d'un grand effort, Thepine redressa la tête et
traversa la succession de cours qui menaient aux appartements royaux. Quel tour
le destin lui avait-il joué, juste au moment où elle se croyait de retour saine
et sauve ? Aurait-elle la force, se demanda-t-elle, de jouer l'innocence
outragée, en demandant avec colère de connaître le nom de l'ennemi qui l'avait
bassement calomniée? Ou bien implorerait-elle seulement miséricorde en
insistant sur ses années de services et en demandant seulement une mort rapide
et sans souffrance?
Elle s'arrêta net. Quel que dût être son sort, elle
n'allait certainement pas l'affronter avec la mine qu'elle avait. Presque toute
sa vie, elle avait été la première courtisane à la cour du Grand Roi Naraï : elle
ne devait pas avoir l'air de perdre de voie son rôle. Elle fit demi-tour et se
dirigea vers ses appartements : elle allait se parer de ses plus beaux atours
pour sa dernière rencontre avec le Maître de la Vie.
Un page royal en élégant uniforme rouge aborda
Thepine à l'entrée des appartements du souverain : il lui
annonça que Sa Majesté était occupée à juger un concours de poésie et qu'il ne
pourrait pas la recevoir tout de suite. En attendant, qu'elle aille vaquer à
ses occupations. Une jeune dame l'attendait dans l'antichambre.
Le page ouvrit la porte et la fit entrer. Thepine
s'arrêta sur le seuil, stupéfiée. Elle apercevait une beauté féminine, debout
près de la fenêtre, comme elle ne se souvenait pas en avoir vu depuis vingt ans
qu'elle était en fonction au palais. La jeune femme était d'une taille
exceptionnelle et avait de longues jambes pour une Siamoise. Elle avait les
pommettes saillantes et de grands yeux en amande dans un visage d'une
extraordinaire beauté. Elle sourit timidement à Thepine.
«Honorable Maîtresse?» se risqua-t-elle à dire
modestement. Comme Thepine, muette de saisissement, demeurait silencieuse, la
jeune femme se prosterna
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