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Le faucon du siam

Le faucon du siam

Titel: Le faucon du siam Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Axel Aylwen
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devoir à
elle était de l'espionner, voilà tout.
    Elle s'engageait dans une large rue bordée d'arbres,
pavée de briques et où des rangées d'échoppes s'alignaient de part et d'autre.
Des douzaines d'artisans étaient là : sculpteurs sur bois, joailliers,
ébénistes, façonneurs de bronze, maçons, doreurs, bijoutiers et peintres.
Jamais Sunida n'avait vu de telles foules se pressant aux alentours des
boutiques, examinant les denrées, criant, marchandant, discutant et refusant ce
qu'on leur proposait.
    Le garde désigna sur la gauche une arche de brique qui
donnait accès à la grande place du marché. Puis il prit congé, lui rappelant
d'être de retour avant le coucher du soleil. La marchande qu'elle rencontrerait
avait pour mission de la raccompagner jusqu'aux portes du palais.
    Le garde s'éloigna et Sunida se retrouva seule pour la
première fois, ballottée dans la foule qui s'avançait parmi les éventaires,
seule en train de chercher une femme portant un sarong du Sud, une femme
inconnue qui lui donnerait d'autres instructions. Le cœur battant, elle
s'attarda un moment devant l'un des petits murs de brique qui entouraient la
place. Elle se sentait terriblement abandonnée et contemplait par-dessus le
muret l'agitation de cette foule anonyme. Une vague de nostalgie la submergea
et elle se sentit soudain au bord des larmes. Comme elle regrettait sa petite
chambre et les heures passées chaque jour à danser, ses amies de la troupe, son
oncle, et même le visage familier du Palat. Si seulement Phaulkon était ici
pour la guider!
    Des images de son enfance lui revinrent, ainsi qu'un
souvenir confus du sentiment d'abandon qu'elle avait éprouvé lors de la brusque
disparition de sa mère. L'affection de son oncle avait paru redoubler, les
courtisans avaient rivalisé d'attentions à son égard, mais elle avait horreur
de l'idée qu'on pouvait la plaindre. Quand, un jour, elle avait vu des enfants
du village se détourner d'elle en se chuchotant à l'oreille « C'est la nièce du
gouverneur, celle dont la mère s'est enfuie », elle était allée se cacher
derrière un arbre et avait pleuré des heures durant.
    À ce pénible souvenir, les larmes lui montèrent aux yeux
et elle se rendit compte que les gens la regardaient d'un air bizarre. Une
vieille femme s'approcha charitablement et lui demanda si elle se sentait bien.
Elle eut un sourire penaud, comprenant à quel point elle devait avoir l'air
désemparé, et elle s'obligea à se concentrer sur ce qu'elle devait faire. Elle
s'enfonça dans la foule : au prix d'un effort, elle repoussa le monde qu'elle
avait connu et se dirigea d'un pas résolu vers un univers nouveau. Bientôt, la
stupéfiante variété des produits — dont elle n'avait même jamais vu certains —
parvint à la distraire. Ouvrant de giands yeux, elle déambula dans les allées,
fascinée par cet assortiment de fruits et de légumes, de poissons et de
volailles, d'épices et de gâteaux. Son attention fut attirée par un petit
groupe se pressant autour d'un des éventaires où l'on marchandait avec
animation. C'était surtout la marchande, une femme dodue et expansive, qui
attirait l'attention, mais la cliente, petite créature frêle comme un oiseau
avec une voix perçante, lui tenait tête avec brio. Sunida s'approcha pour
écouter avec un ravissement enfantin cette pittoresque confrontation.
    « Tu ne pourrais pas trouver meilleure occasion dans
toute la Chine, disait la marchande en brandissant un concombre de belle
taille.
    — Ça me coûterait sans doute moins cher d'aller
jusque là-bas pour en acheter, lança la cliente de sa voix criarde.
    — Pas au prix des transports de nos jours, répliqua
la commerçante, provoquant un rire général.
    — Si c'est ton dernier prix, tu ferais mieux de me
donner aujourd'hui un demi-concombre : je ferai des économies pour acheter
l'autre l'année prochaine.
    — Comme tu voudras, mais l'autre moitié aura sans
doute doublé de prix d'ici-là. »
    Sunida riait avec les autres spectateurs quand elle
remarqua la couleur du sarong de la marchande : brun et vert avec un motif du
Sud. Elle se demandait quel serait le meilleur moyen de se faire reconnaître
lorsque, à sa consternation, la marchande se tourna vers elle. « Toi, jeune
dame, tu m'as l'air d'une personne au jugement sain. Pour un demi-tical, ce
concombre n'est-il pas une véritable offrande? »
    Les offrandes, bien sûr, étaient gratuites.
    La foule se tourna vers Sunida.

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