Le faucon du siam
vous avez la marchandise, soit vous ne l'avez pas. » Ne
comprenaient-ils donc pas que tout était une question de temps ?
« Monsieur White, expliqua Ivatt, voilà plus d'un mois
que nous n'avons pas vu M. Phaulkon. Nous n'avons pas davantage pu communiquer
avec lui. Voyez-vous, nous étions dans le Sud et je crois que nous devrions
réserver notre jugement tant que nous ne lui aurons pas parlé.
— Et quand comptez-vous le faire, monsieur?
interrogea Samuel, essayant de dominer son irritation.
— Il est à Louvo où il accompagne la chasse royale
», répliqua Ivatt, en insistant sur le mot « royale ».
White sembla rassuré à l'idée que Phaulkon évoluait
peut-être dans des milieux intéressants pour eux.
« Quand sera-t-il de retour, monsieur? demanda-trii.
— Nous ne savons pas très bien, monsieur White, fit
Burnaby. Certes, j'aimerais vous donner — nous donner à tous — quelque espoir,
mais il ne serait pas honnête de vous tromper. Nous avons perdu, il y a un mois
environ, les moyens d'acquérir les marchandises destinées à la Perse, et je ne
vois pas comment Constant aurait pu renverser la situation en un délai aussi
court.
— Je vous trouve bien pessimiste, Richard », fit
remarquer Ivatt, agacé.
Burnaby se tourna vers lui. « Je ne suis pas pessimiste,
Ivatt. Je suis réaliste. Il serait injuste d'égarer M. White ou de lui faire
perdre son temps. »
Il était rare que Burnaby appelât Ivatt autrement que par
son prénom.
« Malheureusement, messieurs, je dispose de fort peu de
temps. À défaut de pouvoir constater que M. Phaulkon dispose de la marchandise
— ce qui ne me semble pas être le cas —, je ne puis m'attarder ici. Mon
équipage m'attend à Mergui et mon navire doit se trouver à Madras avant la fin
du mois. Je ne suis guère impatient de repartir, compte tenu des rigueurs que
j'ai connues lors de mon voyage jusqu'ici, mais je n'ai pas le choix. » Il
reprit d'un ton amer : « Trois de mes hommes ont été tués par des tigres en
route et j'ai moi-même été pratiquement dévoré vivant par les moustiques. » Il
se pencha et, comme pour confirmer cette remarque, il se gratta l'échiné. « Je
ferais donc mieux de partir maintenant et d'en finir.
— Ne pouniez-vous pas attendre au moins une nuit,
monsieur White? supplia Ivatt. Je suis sûr que le repos vous ferait du bien. Je
trouve navrant que vous ayez fait tout ce chemin sans avoir la possibilité de
parler avec M. Phaulkon. Vous pourriez passer la nuit dans sa maison, fit Ivatt
en souriant. On trouve chez lui les meilleurs massages de toute la ville. Cela
vous remettrait tout à fait sur pied. »
White haussa les sourcils.
« Des masseuses? demanda-t-il.
— Elles sont trois et travaillent en équipe. » Ivatt
eut un clin d'œil paillard. « De vrais petits démons, mais formées au ciel. »
White parut hésiter. « Très bien, j'accepte votre
proposition d'une nuit de repos, mais je partirai demain matin à la première
heure. L'un de vous aurait-il la bonté de m'accompagner jusque là-bas? Je sais
que ce n'est pas loin, mais je ne suis pas sûr de reconnaître la maison.
— Avec plaisir », proposa Ivatt. Il se tourna vers
Burnaby. « Avec votre permission, Richard?
— Naturellement. Je serai moi-même à la factorerie :
vous pourrez m'y rejoindre, Thomas, dès que vous aurez déposé M. White. J'ai
été ravi de faire votre connaissance, monsieur White. Je regrette seulement que
les circonstances ne vous aient pas été plus favorables.
— Moi aussi, monsieur. Franchement, c'est une
terrible déception. » Il s'inclina et repartit avec Ivatt.
Phaulkon revint à Ayuthia ce même soir après la tombée de
la nuit. Van Risling souffrait trop pour faire le voyage et il était resté à Louvo
avec Faa. Il avait obstinément refusé de se laisser soigner par un des
chirurgiens locaux, y compris ceux que Sa Majesté le roi avait proposés aux
blessés, et il avait insisté pour attendre de voir un médecin hollandais à
Ayuthia. Exaspéré, Aarnout Faa avait fini par hausser les épaules et par
accepter de passer la nuit à Louvo, avec l'espoir que Van Risling serait en
état de faire le voyage le lendemain matin. Phaulkon avait hâte de retourner à
Ayuthia et il avait pris le dernier bateau en partance ce jour-là. Il était
près de neuf heures du soir quand il arriva chez lui.
Sorn et Tip attendaient pour l'accueillir au pied des
marches et lui racontèrent, tout excitées, qu'un visiteur
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