Le faucon du siam
farang était allongé
sur le sol du salon à se faire masser. Tip ne cessait de porter la main à sa
bouche pour cacher qu'elle pouffait de rire, comme le faisaient en général les
Siamois pour dissimuler leur gêne. En insistant un peu, Phaulkon apprit que le
farang était complètement nu et qu'il appréciait vivement la compagnie des
trois jeunes esclaves du maître.
«Qui est cet homme?» demanda résolument Phaulkon. Elles
n'en savaient rien, sinon que c'était le petit farang qui l'avait amené ici.
« Le petit farang ? s'exclama Phaulkon. Il est ici ?
— Oui, Maître, répondit Sorn. Le grand farang et lui
sont arrivés hier.
— Tu en es sûre?
— Absolument, Maître. Ils sont venus vous voir et
ont demandé où vous étiez. »
C'était extraordinaire, songea Phaulkon. Comment
avaient-ils pu arriver ici aussi vite? Le Barcalon n'avait accepté de les
libérer qu'une semaine auparavant. Les filles recommençaient à se cacher la
bouche et toutes deux pouffaient comme des enfants. Le petit farang avait
appris un peu de siamois, dirent-elles. Si elles l'avaient bien compris, il
leur avait demandé de ne laisser en aucun cas cet homme quitter la maison. Il
fallait le distraire jusqu'à lui ôter tout désir de s'en aller. Elles avaient
passé la consigne à Nid, à Ut et à Noi, et le farang était toujours là sur le
plancher du salon. Il s'y trouvait depuis le coucher du soleil.
« Mon Dieu, s'exclama Phaulkon, mais c'était il y a trois
heures ! Bon, je vais aller voir. Tip, va chercher le grand et le petit maîtres
farangs et demande-leur de venir tout de suite. » Tip se prosterna et rampa à
reculons.
« Sorn, prépare-nous un repas, je t'en prie. Je meurs de
faim. Est-ce que le visiteur a dîné?
— Pas encore, Maître, répondit Sorn. Il était trop
occupé.
— Alors, tu ferais bien de préparer de quoi souper
pour quatre.
— Maître, dit Sorn, je suis votre esclave. » Elle
s'inclina très bas et se retira.
Phaulkon monta les marches et s'arrêta devant la porte du
salon. Il entendit des rires étouffés interrompus par les accents d'une voix de
stentor à la tonalité plus grave. La voix semblait prodiguer des
encouragements. Il comprit quelques mots d'anglais.
« Allez-y, mes beautés... c'est ça... merveilleux...
continuez... un peu plus bas maintenant. »
Qui diable était-ce? Phaulkon poussa violemment les
panneaux de la porte et toute activité cessa aussitôt. Les filles se
prosternèrent sur le sol et Ut s'empressa de jeter un panung sur le farang pour
cacher sa nudité. Samuel White regarda autour de lui, quelque peu interloqué,
puis se leva d'un bond et s'avança vers Phaulkon avec un sourire radieux. Il
semblait avoir oublié qu'il était complètement nu.
« Ah, monsieur, vous devez être le célèbre monsieur
Phaulkon dont mon frère George m'a parlé en des termes si chaleureux. » Il
s'inclina. « Samuel White, à votre service. C'est un honneur de vous
rencontrer, monsieur.
— Tout le plaisir est pour moi », répondit Phaulkon.
Il était à la fois surpris et ravi de découvrir qui était le visiteur. « Et je
suis enchanté de constater que vous êtes déjà comme chez vous, monsieur. »
Samuel baissa un regard un peu embarrassé sur sa nudité.
Les trois filles, nues elles aussi, étaient toujours prosternées sur le sol.
Samuel eut un sourire penaud et s'approcha de la pile de ses vêtements.
« Votre collègue qui m'a amené ici m'a suggéré de
profiter des installations de la maison, monsieur, alors...
— Vous avez bien fait, monsieur White », répliqua
Phaulkon avec un geste magnanime. Il aurait volontiers fourni trois dames de
plus pour divertir un hôte aussi bienvenu, songea-t-il.
« Je ne tiens aucun homme en plus haute estime que votre
frère George. Les filles, ajouta-t-il, vous pouvez partir maintenant. »
Samuel se rhabilla. Il regardait, fasciné, les trois
esclaves ramper respectueusement à reculons, ramassant au passage les panungs
dont elles s'étaient débarrassées.
« Je comptais vous trouver à Mergui, monsieur White. J'y
ai envoyé un émissaire avec un message.
— Je suis arrivé en avance, monsieur. Alors, j'ai
décidé de venir jusqu'ici. Surtout quand j'ai découvert qu'il ne fallait que
dix jours en prenant la route des terres. »
Pauvre Sunida, songea Phaulkon. Elle devait être en train
de le chercher partout. Us avaient dû se croiser en chemin.
« Vous n'avez pas rencontré un messager allant dans
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