Le faucon du siam
questions si jamais on découvrait les pièces.
« Ils se conduisent presque comme si c'était le cas, mais
je ne vois pas comment ils pourraient être au courant. » À Avuthia, Phaulkon
avait choisi lui-même les hommes qui avaient peiné pour hisser les lourdes
caisses depuis l'entrepôt de la compagnie jusque dans la cale du Royal
Lotus. Tous des Siamois qu'il connaissait, en qui il avait confiance et
qu'il avait bien payés. On n'avait fait monter à bord l'équipage malais qu'une
fois les caisses soigneusement scellées et la cale refermée.
« Si Faiçal agissait seul quand il vous a attaqué, alors
quel était son motif? insista Burnaby.
— Je n'ai pas dit qu'il agissait seul, répondit
Phaulkon en lançant un coup d'œil aux trois Malais. J'ai l'impression que nous
saurons sans doute bientôt à quoi nous en tenir. Ces maudits mutins préparent
quelque chose ici même, au large de Ligor. Si nous n'avions pas besoin de
matelots, je serais d'avis de nous débarrasser d'eux sans tarder. »
Phaulkon aurait préféré un équipage siamois, mais c'était
impossible. Tout en étant peut-être les gens les plus charmants du monde, les
Siamois se montraient les pires marins qui soient. Ils n'étaient à l'aise que
sur les innombrables canaux qui sillonnaient leur beau pays. Ils ne voyaient
aucune raison d'aller défier le sort sur des mers déchaînées. Seul un très gros
salaire pouvait amener un Siamois à quitter sa paisible rivière. Examinant son
équipage de coupe-gorge, Phaulkon se dit que cela en aurait peut-être valu la
peine. Les Malais présentaient toutefois un avantage : comme les sujets de la
reine rebelle de Pattani, ils étaient musulmans; si les choses tournaient mal,
ils risquaient moins de coopérer avec les autorités bouddhistes du Siam.
Soudain, il fut sur ses gardes : les trois Malais se
dirigeaient vers lui. Ivatt et Burnaby le regardaient, quêtant ses
instructions. Achmed s'arrêta devant Phaulkon et s'inclina. Mohammed et Abdul
restèrent à distance respectueuse derrière leur chef. Burnaby et Ivatt étaient
plantés derrière eux.
« Tuan Kapten, Votre Excellence, commença Achmed, je n'ai
pas peur de la mer, mais mes hommes » — il désigna d'un geste les deux autres —
« n'ont pas envie de naviguer dans cette tempête qui s'annonce. Ils craignent
que la colère d'Allah ne soit sur eux après la lâche attaque de leur frère
Faiçal. Ils veulent qu'on les débarque à Ligor avant qu'il ne soit trop tard.
Je crois que nous n'en sommes pas loin, n'est-ce pas, Tuan? Ils sont même prêts
à renoncer à leur paie. Mais Allah est miséricordieux, Kapten, car il se trouve
que j'ai un cousin à Ligor et que je peux sans mal vous trouver un équipage de
remplacement. Bien sûr, je continuerai à naviguer avec vous. » Il s'inclina de
nouveau. « Il n'y a pas un endroit sur cet océan où je ne m'aventurerais pas
avec le Tuan Kapten. »
Phaulkon le dévisagea un instant avec insistance.
« Achmed, tes hommes ont été engagés pour faire un
travail et toi pour les diriger. Ils ne devraient pas prendre la mer s'ils
n'aiment pas les tempêtes. Ils seront débarqués quand et où je le dirai.
— Comme vous l'ordonnerez, Tuan Kapten », fit Achmed en
inclinant docilement la tête. Puis il se tourna brusquement vers les deux
autres. « Vous, poules mouillées, fils de putain ! rugit-il. Voyez comment vous
avez mis en colère le Tuan et m'avez rendu ridicule. » Il tira son kriss et le
brandit au-dessus de sa tête. « Au travail avant que je vous fasse partager le
sort de Faiçal. » Il se tourna un instant vers Phaulkon. « Pardonnez-moi, Tuan.
Leur honte est la mienne. »
Il s éloigna à grands pas, poussant les deux autres
devant lui.
« Qu'est-ce qu'il racontait ? » s'empressa de demander
Burnaby.
Phaulkon réfléchit un moment, puis regarda le ciel qui
s'assombrissait. « Je crois qu'ils ont probablement... »
Un hurlement jaillit de l'entrepont. D'un coup d'œil
Phaulkon inspecta le pont : personne sinon le cuistot, accroupi derrière sa
marmite comme si de rien n'était. « Vite, allez voir ce qui se passe en bas ! »
cria Phaulkon aux deux Anglais.
Ils dévalèrent l'escalier. Un autre hurlement, plus aigu
cette fois-ci. Puis des cris étouffés et enfin le silence. Phaulkon sentit un
frisson lui courir le long du dos. Il fit quelques pas en avant, sans cesser de
surveiller Abdul, et regarda prudemment par-dessus le panneau d'écoutille.
L'entrepont était plongé dans
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