Le faucon du siam
Tuan Kapten,
grommela-t-il. Montez. » Le panneau se referma sur eux. Aucun des trois hommes
ne parlait, mais tous envisageaient des possibilités d'évasion. Quelques
instants plus tard, la porte du fond de la cale s'ouvrit en grinçant et Achmed
se planta sur le seuil, une main cramponnée à la cloison, l'autre brandissant
d'un air menaçant son kriss devant lui. Il s'approcha pour couper les liens de
Phaulkon.
« Il me faudra les autres avec moi, dit celui-ci d'un ton
ferme. Nous aurons besoin de tous sur le pont si nous voulons survivre à cet
ouragan.
— Les autres resteront ici », riposta Achmed. D'un
mouvement sec, il trancha les cordes qui ligotaient Phaulkon. Puis il désigna
l'escalier. « Vous d'abord. Avancez!»
Phaulkon ne bougea pas. « À qui obéis-tu ?
— J'ai dit : avancez ! »
Phaulkon le dévisagea, évaluant la distance qui les
séparait. « À qui ? » répéta-t-il.
Le Malais ne quittait pas des yeux Phaulkon et il
s'apprêtait à abattre son kriss. Puis le navire donna violemment de la bande et
une vague déferla par l'escalier. Au-dessus d'eux, on entendit un grand fracas
: on aurait dit qu'un des mâts s'effondrait. Le Malais perdit l'équilibre et
tomba sur le côté. Il se releva et dévisagea Phaulkon.
Le Grec n'avait pas bougé : lui avait le pied marin.
« Infidèle fils de putain, balbutia Achmed, c'est le
gardien de votre entrepôt qui t'a vendu aux farangs hollandais à Ayuthia. Ils
vous attendent à Ligor. Maintenant, avance ! »
Phaulkon mit le pied sur la première marche, des idées se
bousculant dans son esprit. C'était donc ça.
On avait acheté les Malais pour les amener à Ligor, à la
factorerie hollandaise sur la côte. Il grimpa lentement, attendant le moment
opportun. Résistant aux rafales de pluie qui se déversaient sur sa tête, il
aperçut Burnaby qu'une embardée avait projeté contre la cloison de la cale.
Ligotés comme ils l'étaient, Ivatt et lui se trouvaient à la merci des vagues.
« Avance! » hurla Achmed juste en dessous de lui. On
sentait de plus en plus la panique dans la voix du Malais. Phaulkon leva le
pied vers le barreau suivant, comme s'il cherchait où le poser dans la houle
qui le secouait de plus en plus fort. Son pied s'immobilisa enfin : au même
instant, une violente douleur lui traversa la cheville et, quelques secondes
plus tard, il sentit une lame lui déchirer la peau du jarret. Le misérable le
poussait à coups de kriss. Il repartit quand il entendit un cri perçant : la
silhouette ligotée d'Ivatt dévala vers la coursive. Achmed se retourna pour
voir ce qui se passait et, à cet instant, Phaulkon lui décocha un violent coup
de pied dans la tête. Les deux hommes perdirent l'équilibre et basculèrent en
arrière.
Le Malais, serrant toujours son kriss, tomba de tout son
poids sur Ivatt, lui coupant la respiration. Puis Phaulkon dégringola sur les
deux hommes. La jonque fit une embardée et ils furent projetés ensemble dans un
coin. Le bras du Malais s'arrêta à quelques centimètres du visage d'Ivatt : il
s'apprêtait à plonger la lame entre les yeux de l'Anglais. Mais le réflexe
d'Ivatt, aiguisé par des années d'acrobatie, fut immédiat. Il planta ses dents
dans le poignet du Malais et serra de toutes ses forces. Achmed hurla et essaya
de libérer le bras qui tenait le kriss, mais Ivatt tint bon jusqu'au moment où
il dut reprendre haleine. À cet instant, Phaulkon empoigna le kriss, le
retourna et l'enfonça jusqu'à la garde dans le cœur du Malais. Le corps
d'Achmed fut secoué de quelques convulsions puis retomba inerte.
Phaulkon dégagea le poignard ensanglanté et trancha les
liens d'Ivatt. Le petit homme cracha un peu de sang. « Ça n'a pas de goût,
marmonna-t-il.
— Bien joué, mon garçon. Et ça n'est que le premier acte.
Tenez, prenez ce couteau et libérez Richard. Je remonte sur le pont. »
Il gravit rapidement les échelons et regarda pardessus la
trappe. Bien qu'il fût midi, le ciel était presque noir et les rafales de pluie
lui giflaient le visage. Le grand mât s'était abattu au milieu du pont et la
mer se brisait sur le navire avec de furieux rugissements. Phaulkon aperçut
Mohammed et Abdul tapis à l'arrière, cramponnés au bastingage.
Sans s'occuper d'eux, il parvint jusqu'à la barre et
l'empoigna. Il mit toute sa force à faire tourner le gouvernail mais le vent et
la mer étaient plus puissants et la barre ne répondait pas. Il sentit sa colère
monter et maudit les Malais
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