Le faucon du siam
bouillait visiblement de rage.
« Vous, un... un... petit parvenu de Grec, me refuser cet
accès à moi, Samuel Potts, commissaire aux comptes de l'honorable Compagnie
anglaise. Vous... Un sale étranger! lança-t-il.
— Vous êtes ivre, monsieur Potts. J'espère que vous
n'omettrez pas de mentionner ce détail dans votre rapport : je n'y manquerai
pas dans le mien.
— Votre rapport! explosa Potts. Ah! Vous vous
imaginez que quelqu'un va lire votre rapport. Vous... un maudit Grec,
qui n'êtes même pas agent général ici. Enfin, petit imbécile gonflé de votre
importance... » Il brandit la torche devant le visage de Phaulkon.
Le garde, entendant déblatérer Potts, arriva juste à
temps pour le voir menacer Phaulkon avec sa torche. Il
s'interposa, se tournant vers Potts et le regardant d'un air mauvais. « Tout va
bien, Maître ? demanda-t-il à Phaulkon en siamois.
— Mettez-moi ce foutu indigène dehors! hurla Potts,
hors de lui.
— Vous allez rentrer à la maison et vous calmer,
monsieur Potts, avant de causer des dégâts ici, répliqua Phaulkon d'un ton
ferme. Et cessez de brandir cette torche. Ce bâtiment est en bois et les
caisses sont extrêmement inflammables. »
Potts restait planté comme un homme ayant perdu l'esprit.
« Je vous mets au défi de me faire bouger d'ici, lança-t-il. C'est à cause des
canons, n'est-ce pas? Vous ne voulez pas que je les trouve. Je connais toute
l'histoire, voyez-vous. Où sont-ils ? » Il se mit à regarder autour de lui
comme un enragé, inspectant les recoins derrière chaque caisse et brandissant
dangereusement sa torche. Les flammes léchaient imprudemment le bois. Le garde
se tourna vers Phaulkon, ne sachant que faire. « Je vais régler ça », dit
Phaulkon en siamois. Il fallait absolument retirer cette torche des mains de
Potts.
« Il n'y a pas de canon ici, monsieur Potts. Rien que des
caisses très inflammables. »
Sans l'écouter, Potts continuait à secouer sa torche dans
tous les sens.
« Donnez-moi cette torche », ordonna Phaulkon en tendant
la main.
Potts pivota sur ses talons. « Ne vous avisez pas
d'élever la voix devant moi, petit parvenu! Je suis votre supérieur et j'aurai
votre peau. »
Parvenant à maîtriser sa fureur, Phaulkon s'approcha de
lui. « Donnez-moi la torche, monsieur Potts, et nous enfoncerons la porte comme
vous l'avez demandé.
— Restez où vous êtes ! tonna Potts en agitant
frénétiquement la torche d'un côté et de l'autre. Alors vous voilà enfin prêt à
obéir aux ordres, hein ? Maintenant que j'aborde l'affaire des canons, vous
vous êtes décidé à enfoncer la porte. Ah... ! » Il eut un sou-
rire dément. « Il faut plus qu'un employé de troisième
ordre pour tromper le vieux Samuel Potts. Nous allons d'abord retrouver ces
canons. »
Il recula à tâtons, tendant une main derrière lui de
manière à ne pas quitter des yeux Phaulkon. Il jetait de brefs coups d'œil à
droite et à gauche tout en cherchant vainement les canons. Phaulkon le suivait
avec prudence, prêt à se précipiter sitôt qu'il aurait trouvé un espace
suffisant entre les caisses pleines de draps. Pas question que Potts laisse
tomber sa torche au milieu de toute cette marchandise.
Tel un animal traqué, l'Anglais reculait, promenant autour
de lui un regard affolé. Phaulkon entendit le garde trébucher sur une planche
disjointe : c'était trop tard. L'Indien avait contourné cette partie du magasin
pour tenter de surprendre Potts par-derrière. En entendant craquer le bois,
l'Anglais se retourna et perdit en même temps l'équilibre. Il tomba en arrière
et la torche lui échappa des mains pour atterrir au milieu des caisses.
Le bambou s'enflamma aussitôt et le feu se répandit
immédiatement au milieu de cet entassement de bois sec et de marchandises
inflammables. Sans s'occuper de Potts, Phaulkon et le garde se précipitèrent
vers deux jarres en terre posées de chaque côté de l'entrée. Le temps de
traîner les lourds récipients jusqu'aux flammes et de commencer à jeter de
l'eau avec de petites cuvettes, le feu faisait rage. Ce fut à peine si leurs
efforts ralentirent la progression des flammes.
Potts se remit sur pied, contemplant l'incendie comme un
possédé. Puis il sortit du bâtiment en trébuchant. En quelques instants le feu
avait gagné les murs, le toit et certaines parties de l'édifice commençaient à
s'effondrer. Phaulkon hésita un moment devant le bureau de Burnaby puis, voyant
l'incendie
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