Le faucon du siam
dévorer la pièce voisine, il se précipita vers la sortie, entraînant
le garde derrière lui. Dehors, des gens accouraient de tous côtés. Ceux qui
étaient arrivés les premiers regardaient, fascinés et impuissants, les flammes
bondir toujours plus haut jusqu'au moment où, en un formidable grondement, le
toit s écroula dans le brasier. D'autres, portant des pots d'eau, commencèrent
à faire la chaîne autour de l'entrepôt pour empêcher que le feu ne gagne les
maisons voisines. Mais il y avait assez de poussière et de terre autour du
magasin pour empêcher la progression de l'incendie : les flammes se
contentèrent de dévorer ce qui était à leur portée.
Potts, soudain dégrisé, était assis immobile au pied d'un
arbre, la tête entre les mains.
« Que s'est-il passé ? » crièrent plusieurs spectateurs.
Chaque fois que l'on posait la question, le garde auprès de Phaulkon désignait
Potts, effondré au pied de l'arbre. « C'est cet homme là-bas qui a mis le feu
avec sa torche », expliquait-il.
Phaulkon dépêcha le garde à la résidence de l'assistant
du Barcalon pour signaler le sinistre. Puis il vit deux soldats qui arrivaient
en courant pour se renseigner. Tous les assistants désignaient Potts. Dans une
ville où presque tous les édifices étaient en bois, c'était un délit et un
crime d'être à l'origine d'un incendie, fût-il accidentel. Quant à mettre
délibérément le feu...
Phaulkon observa en silence les soldats arrêter Potts et
l'entraîner. L'Anglais n'opposa aucune résistance. Phaulkon jeta un dernier
regard aux décombres calcinés de ce qui avait été, jadis, le siège de
l'honorable Compagnie au Siam. Il contemplait dans ces flammes autre chose que
la factorerie qui brûlait. Il voyait se consumer en même temps le dernier pont
qui le rattachait à l'Angleterre. Madras ne manquerait pas de s'en remettre à
la version que Potts donnerait des événements. Si jamais on reconstruisait la
factorerie, ce ne serait sûrement pas avec le concours de Phaulkon et de
Burnaby, mais de leurs successeurs : eux-mêmes devraient comparaître à Madras
devant la cour martiale. Plus que jamais, songea-t-il, la réussite de
l'expédition en Perse était capitale.
« Je comprends fort bien votre inquiétude, mon-sieur Faa.
Mais nous avons des lois dans ce pays et il faut les respecter. Comme je vous
l'ai dit, c'est un crime de mettre le feu à un bâtiment, que cela soit
accidentel ou non. » Le Barcalon plissa le front. « Un crime puni de mort. Dans
certains cas fort rares, Sa Majesté peut avoir la bonté de grâcier un sujet
dont la vie a été dans l'ensemble exemplaire — et commuer cette peine en
emprisonnement à vie. Mais jamais dans la situation d'un incendie volontaire, monsieur
Faa, comme c'est apparemment le cas. »
Le Barcalon s'interrompit pour reprendre haleine. Il ne
se sentait pas très bien ces derniers temps et ses crises d'asthme étaient de
plus en plus fréquentes. « Nous habitons des maisons de bois, monsieur Faa. Vous
imaginez les destructions qui en résulteraient si nous n'appliquions pas
sévèrement ces lois, ou si nous nous laissions aller à faire des exceptions.
Nos sujets deviendraient encore plus négligents qu'ils ne le sont déjà. »
Le jeune interprète siamois attaché à la Compagnie
hollandaise traduisit les paroles du Barcalon. Il était tout juste rentré de
Hollande : il faisait partie du petit groupe d'étudiants envoyés là-bas pour y
poursuivre leurs études sous les auspices du gouvenieur-generaal de
Batavia.
« Et seule Sa Majesté a le droit de commuer une sentence,
dites-vous? demanda le directeur de la VOC.
— C'est exact, monsieur Faa. Seule Sa Majesté a
droit de vie et de mort sur ses sujets. Ou sur des étrangers commettant des
crimes dans ce pays, précisa-t-il.
— Mais, Votre Excellence, compte tenu du fait que M.
Potts est ici un nouveau venu, et que le bâtiment en question était une
propriété étrangère, ne pourrait-on assouplir un peu les règles? Ne
pourrait-on, par exemple, lui demander de quitter le pays ? »
Il fallait absolument que ce Potts retourne à Madras
faire son rapport, songeait le Hollandais. Avec un peu de chance cela
provoquerait l'expulsion de Phaulkon et peut-être même la fermeture de la
Compagnie anglaise au Siam.
Il eut un sourire doucereux : « Bien entendu, Excellence,
nous serions vos débiteurs et vous pourriez nous faire savoir de quelle façon
nous nous acquitterions de notre
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