Le faucon du siam
» Il inclina la tête d'un geste courtois.
Faa se trouvait dans une situation difficile. C'était
vrai : il avait vilipendé tous les Anglais et maintenant il implorait
miséricorde pour l'un d'entre eux. Mais il fallait absolument que Potts regagne
Madras pour y faire son rapport. Pareille occasion ne se reproduirait peut-être
jamais. Potts, à coup sûr, allait accuser Phaulkon et souligner l'absence à
leurs postes de tous les autres agents anglais. Burnaby et Phaulkon passeraient
en justice. Ils seraient peut-être pendus et la publicité serait telle — il y
veillerait personnellement — qu'il était douteux que les Anglais aient jamais
le courage de rouvrir leur comptoir d'Avuthia. Il en serait débarrassé une fois
pour toutes et, lorsqu'il aurait fait connaître le rôle qu'il avait joué dans
l'opération, sa promotion pourrait être fabuleuse. Il devait d'une façon ou
d'une autre obtenir la libération de Potts, même si pour y parvenir il fallait
recourir à quelque pression sur les Siamois...
« Excellence, Potts est innocent. Il a été manipulé par
les Anglais. Je suis prêt à fournir un otage hollandais pour le remplacer
jusqu'au jour où j'aurai pu prouver son innocence. »
Le Barcalon l'observait en silence.
« Vous avez fait allusion au rang élevé de ce M. Potts,
me semble-t-il. Je ne connais aucun Hollandais à Ayuthia qui soit à un poste
aussi élevé, à moins, bien sûr, monsieur Faa... » Il dévisageait le chef de la
VOC avec un petit sourire.
Aarnout Faa, généralement maître de lui, commençait à se
sentir résolument mal à l'aise. Bon sang, il lui fallait ce Potts à bord d'un
bateau pour Madras et non pas le voir exhibé sur une place publique avec une
planche autour du cou comme c'était actuellement le cas. La redoutable cangue, ainsi que les Portugais l'avaient nommée, était comme un nœud de
bois qui serrait le cou du prisonnier au point de lui faire sortir les yeux de
la tête. C'était l'ultime humiliation publique et le farang Potts avait attiré
le plus grand rassemblement que l'on eût jamais vu sur la place devant la
prison.
« Excellence, au nom des nombreuses années d'amitié et de
coopération entre nos deux nations, je dois humblement vous demander de
relâcher cet homme.
— Monsieur Faa, même si plus que tout autre je tiens
à cette amitié et si, me semble-t-il, votre ardeur à faire libérer cet homme
doit avoir des raisons qui dépassent mon entendement, je répète qu'il est
accusé d'un crime grave dans notre pays et que nous ne pouvons pas créer un
précédent en l'exilant sans châtiment.
— Excellence, je me suis efforcé de vous faire
sentir la force de mes convictions.
— Et moi aussi, monsieur Faa. »
Aarnout Faa durcit le ton. « Vous ne me laissez donc pas
d'autre choix que de demander à mon supérieur, le gouvenieur-generaal lui-même, d'examiner le traité de paix de 1664, et peut-être de supprimer
certains paragraphes faisant allusion à... à notre... protection spéciale.
— Quelle coïncidence, monsieur Faa, lui rétorqua le
Barcalon impassible. C'était notre intention depuis quelque temps d'attirer
votre attention sur ce traité. Je vous suis fort reconnaissant de hâter les
choses. Nous estimons qu'un certain nombre de ces clauses sont peut-être
dépassées aujourd'hui et je dois dire qu'à cet égard nous avons trouvé les
Anglais tout disposés à proposer des solutions.
— Très bien, Excellence, conclut le Hollandais d'un
ton glacial. Vous aurez de nos nouvelles le moment venu. » Il se leva pour
prendre congé.
— Ce sera toujours un plaisir, monsieur Faa. » Le
Barcalon sourit. En son for intérieur, il savait qu'il n'y avait pas un instant
à perdre. Dans l'affaire Potts, Constantin Phaulkon avait donné toute sa
mesure. Il avait démontré tout à la fois ses talents de diplomate et sa loyauté
envers le Siam. Il avait publiquement plaidé pour la libération de Potts afin
de préserver la bonne entente entre l'Angleterre et le Siam, tout en blâmant
Potts en privé d'avoir insulté la monarchie siamoise. Sa Majesté était
d'ailleurs de cet avis. Il allait falloir prendre au sérieux les plans de
Phaulkon pour la défense du Siam, et peut-être les mettre en application — sans
délai.
30
Le lundi suivant, le Barcalon annonça à Phaulkon que Sa
Majesté le roi lui avait fait la grâce de le convoquer à une audience. Phaulkon
resta sans voix. C'était le moment dont il avait rêvé. Le
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