Le faucon du siam
dette envers vous. »
Le Barcalon observa attentivement le Hollandais tout en
écoutant la traduction. C'était la seconde fois en deux jours que cet homme
venait l'implorer. De toute évidence, il tenait beaucoup à voir cet Anglais
sortir de prison. Mais pourquoi ? Pourquoi les Hollandais voulaient-ils soudain
aider les Anglais ? Qui était ce M. Potts et qu'était-il venu faire à Ayuthia ?
La solution se trouvait, à n'en pas douter, dans les réponses de Phaulkon.
Interrogé sur l'incident, Phaulkon avait répondu que Potts était un haut
fonctionnaire de la Compagnie envoyé faire la tournée des divers bureaux de la
Compagnie anglaise pour un contrôle de routine des inventaires. En raison de
l'extrême chaleur, il avait absorbé un peu trop de cognac et trébuché sur un
morceau de bois dans l'entrepôt, faisant ainsi tomber accidentellement sa
torche. Phaulkon s'était confondu en excuses au nom de M. Potts et celui de la
Compagnie, et avait supplié que, en raison de la position éminente de Potts au
sein de la Compagnie et le récent regain d'amitié entre les nations siamoise et
anglaise, on l'autorisât à quitter le pays. La Compagnie anglaise se ferait un
devoir d'indemniser la Couronne siamoise pour les dégâts causés aux propriétés
avoisinantes.
Mais, en privé, Phaulkon avait donné une tout autre
explication. C'était là, songea le Barcalon, le nœud du problème. Phaulkon
avait raconté à Sunida que ce M. Potts était un épouvantable ivrogne, le genre
de farang dont la déplorable conduite était une cause de gêne pour son pays et
pour les relations anglo-siamoises en général. Bien mieux, c'était un espion à
la solde des Hollandais, le genre de crapule anglaise prête à vendre ses
services au plus offrant. Le Barcalon frémit en pensant aux révélations faites
par Phaulkon à Sunida sur les propos de Potts. D'ailleurs, tous les Siamois qui
avaient été contraints de répéter ces paroles, que ce soit Sunida, Sri la
vendeuse du mar-ché, ou Somsak, le capitaine de la garde du palais, avaient eu
du mal à avaler leur salive avant de parler. Il n'y en avait pas un qui n'eût
invoqué une sainte dispense avant d'énoncer de tels blasphèmes. Traiter Sa
Majesté de roi des crocodiles, vous vous rendez compte! Lui-même — se rappela
nerveusement le Barcalon — avait refusé de répéter ses scandaleuses paroles au
Seigneur de la Vie. Il avait manqué ainsi à son devoir de tout rapporter à Sa
Majesté, même si cacher une information à son souverain était un crime
punissable de coups de canne sur la plante des pieds, voire de mort si le
renseignement dissimulé relevait de la trahison — ce qui, à n'en pas douter,
était le cas. Phaulkon avait paru tout aussi scandalisé quand il avait révélé à
Sunida comment Potts s'était enivré et avait insulté les Siamois en appelant Sa
Majesté le roi des crocodiles parce que ses sujets rampaient toujours devant
lui tels des reptiles. Le Barcalon s'efforça d'effacer ces souvenirs. À en
croire Sunida, Phaulkon avait été si choqué par cette description qu'il avait
demandé à Potts de retirer ses propos, mais celui-ci n'avait fait que
l'abreuver de nouvelles injures. Et puis, ainsi qu'il avait été payé par les
Hollandais pour le faire, il avait mis le feu à l'entrepôt, en faisant semblant
de trébucher sur une planche pour laisser croire à un incendie accidentel. Le
Hollandais, semblait-il, avait fort opportunément omis d'informer Potts, un
nouveau venu dans le pays, des lois contre l'incendie volontaire et lui avait
affirmé que l'on n'aurait aucun mal à obtenir sa libération. Le garde du
magasin, qui avait assisté à toute la scène, avait confirmé la version de
Phaulkon et décrit comment une vive discussion avait éclaté entre les deux
farangs.
Le Barcalon se contraignit à garder son calme et à se
concentrer sur le problème qui se posait. Le Hollandais attendait une réponse
concernant la libération de Potts. Mais c'était hors de question, et cela le
resterait aussi longtemps qu'il serait Barcalon, se promit-il.
« Monsieur Faa, je dois dire que vous autres, Hollandais,
m'intriguez. L'autre jour encore, vous me demandiez de châtier les Anglais pour
avoir volé vos canons et armé les rebelles de Pattani : voilà qu'aujourd'hui
vous me demandez de relâcher un de leurs dirigeants qui vient de mettre le feu
à un bâtiment. Pardonnez-moi si l'esprit siamois est trop mal adapté pour
suivre une telle logique.
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