Le faucon du siam
pas armés, sauf pour les cérémonies
officielles, et leur charge, fort recherchée, était héréditaire. C'étaient des
hommes rompus à la pratique de l'aviron, de 1 equitation et du combat.
Le cortège traversa alors les jardins ombragés par de
grands arbres, parsemés de fontaines murmurantes et de petits étangs où
abondaient des poissons
multicolores. Des haies sculptées en forme d'animaux en
marquaient le périmètre et des bougainvilliers grimpaient aux murs en une
explosion de couleurs vives.
Le palais, ainsi que Phaulkon l'avait découvert en se
renseignant avec soin, était une cité ceinte de murs, s'étendant sur près de
quinze arpents, une ville à l'intérieur de la ville, divisée en sections
extérieures et intérieure. Les premières comprenaient les jardins, les écuries,
les cours, les terrasses et les salles d'audience : c'était là que le roi
recevait ses visiteurs et tenait conseil avec ses ministres et ses mandarins.
La section intérieure, dont l'accès était interdit à tous sinon à quelques
privilégiés — eunuques, pages, médecins du roi et parfois un moine —, abritait
les vastes appartements royaux et le harem. Même le Barcalon n'y avait pas
accès. On ne savait pas grand-chose de l'aménagement de ce saint des saints
mais l'on racontait qu'un dédale de couloirs reliait les divers appartements
royaux, que Sa Majesté utilisait tour à tour, sans prévenir, afin de déjouer
toute tentative de trahison ou d'assassinat.
Émergeant d'une dernière et vaste cour où plusieurs
mandarins du troisième au cinquième rang étaient prosternés dans l'espoir
d'être convoqués par le roi, les visiteurs arrivèrent devant une série de
marches qui menaient jusqu'à la salle d'audience lambrissée où Sa Majesté avait
reçu l'ambassadeur de Chine. Phaulkon n'était jamais allé plus loin que cette
cour où s'était tenu le banquet. Au loin s'étendaient sept ou huit rangées de
toits doucement incurvés, qui se suivaient par ordre de grandeur, leurs tuiles
d'un jaune doré étincelant au soleil. C'est là, songea Phaulkon en tremblant,
que se trouvait le Palais intérieur, cet antre d'intrigues dont les toits, de
plus en plus hauts, culminaient au niveau des appartements royaux.
Au pied de l'escalier, le cortège des esclaves s'arrêta
et se prosterna. Le Barcalon s'avança sur les mains et sur les genoux et fit
signe à Phaulkon de le suivre. Ils gravirent ainsi les marches, rampant l'un
derrière
l'autre, pour déboucher à l'entrée d'une somptueuse salle
d'audience lambrissée de bois, étincelante de laque et de feuilles d'or. Là,
respectant l'ordre précis de la hiérarchie, étaient assemblés les mandarins
privilégiés de première et de seconde classe, prosternés et silencieux.
Regardant discrètement autour de lui, Phaulkon fut frappé par la magnificence
des lieux et il éprouva soudain l'accablant sentiment de son insignifiance. Les
murs étaient vernis de laque rouge, soulignée de bandes dorées à la feuille.
D'un mur à l'autre les planchers étaient couverts des plus beaux tapis persans.
Le Barcalon et Phaulkon se prosternèrent sur les genoux
et sur les coudes en direction d'un balcon surélevé, devant lequel était tiré
un rideau, et surmonté de plusieurs rangées de parasols dorés, symbole de la
royauté divine. Ils restèrent ainsi allongés quelques instants. Phaulkon
sentait tous les regards qui l'observaient à la dérobée. Sa Majesté allait-elle
s'adresser à lui personnellement devant tous ces dignitaires? se demandait-il.
Us portaient tous leur chapeau conique et les panungs que Sa Majesté leur avait
offerts, qu'ils ne pouvaient revêtir qu'en sa présence. Auprès d'eux, leur
boîte à bétel et leurs ornements, symboles de leurs charges.
Il y eut soudain une sonnerie de trompettes et un
roulement de tambours. Phaulkon sentit son cœur battre plus vite. N'osant
relever les yeux, il entendit le bruit du rideau que l'on écartait et la voix
du maître de cérémonie qui psalmodiait : « Puisque la parole divine a cru bon
de descendre jusqu'à l'esclave du Roi, qui n'est que poussière et immondices,
cette personne a la témérité de présenter l'esclave de Sa Majesté, Kosatanat
Forcone. »
Phaulkon se souleva sur ses genoux et toucha à trois
reprises le sol de son front en direction du balcon, en prenant soin de ne
jamais lever les yeux. Puis il rampa de trois pas en avant, comme le Barcalon
le lui avait ordonné, pour permettre à Sa
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