Le faucon du siam
moins coûteux qu'aucun de ceux que l'on avait donnés
auparavant. Dans l'affaire Potts, n'avait-il pas révélé une fois de plus sa
loyauté envers le Siam, en se montrant scandalisé par l'insulte faite à son
souverain ? Phaulkon sourit de nouveau. Il n'était pas mécontent de cette
petite manœuvre. Par le truchement de Sunida, il avait tout à la fois confirmé
sa fidélité envers la Couronne siamoise et s'était assuré de l'incarcération de
cet homme qui, sinon, serait déjà en route pour Madras afin de l'accuser. Du
moins avait-il gagné du temps pour permettre à l'aventure persane de porter ses
fruits. Si tel était le cas, peut-être serait-il en mesure de solliciter un
emploi permanent au service
du Siam. Potts et les Anglais pourraient alors aller au
diable ! En revanche, si l'expédition en Perse échouait, il pourrait bien ne
plus jouir de la faveur des Siamois et se trouver sans protection au moment où
les Anglais réclameraient son extradition à Madras pour le faire juger. Vers
qui se tourner alors ?
Dans quelques instants, il allait se prosterner devant
l'homme qui pouvait sceller son destin, le monarque absolu qui avait le pouvoir
de prendre des décisions sur-le-champ sans en référer à quiconque. Il frémit à
cette idée et, d'instinct, il sut que cette audience allait marquer un tournant
décisif dans son existence.
« Mon Seigneur, fit timidement Sunida, qui répugnait à
interrompre sa méditation, un messager de Son Excellence le Pra Klang attend
dehors. »
Phaulkon leva les yeux. Cela le soulagea presque de
songer que tout serait bientôt terminé. Il aperçut le fier sourire de Sunida et
sentit son cœur fondre. Comme il avait dû être difficile à vivre ces dernières
heures ! Il savait pourtant qu'elle comprenait l'importance de ce jour, car il
lui avait bien souvent parlé de ses projets et de ses rêves. En fait, son amour
du Siam était maintenant inextricablement lié à celui qu'il vouait à cette
femme.
Il se leva et la serra fort contre lui, en respirant
profondément son parfum. « Je t'aime, Sunida.
— Moi aussi, mon Seigneur. Je suis si fière de vous. »
Elle ajusta son col et lissa le devant de sa tunique. «
Et je sais qu'il en ira de même pour Sa Majesté. » D'un pas gracieux, elle se
dirigea vers la porte et s'agenouilla auprès de Sorn, de Tip et des trois
esclaves. Toutes les six restèrent prosternées et immobiles tandis que le
maître descendait les marches menant au jardin où attendait le messager du
Barcalon. C'était, pour tous, un très grand moment.
Dans l'air encore frais du petit matin, Phaulkon, que
précédaient le Barcalon et son habituel cortège
d'esclaves, arriva devant les lourdes portes du palais
toujours fermées. Là, chaque cavalier qui passait était obligé de mettre pied à
terre pour témoigner de son respect. Chaque piéton devait fermer son parasol et
s'incliner devant les hautes tours du palais qui se dressaient majestueusement
au-dessus des murailles.
Phaulkon sentit son cœur battre plus vite quand un
esclave frappa au lourd portail de bois et qu'à l'intérieur, un garde s'enquit
du rang des visiteurs et de l'objet de leur présence. Renseigné sur leur
identité, il informa aussitôt l'Oc-Meuang, le premier officier de l'avant-cour,
de l'arrivée de Son Excellence le Pra Klang avec son escorte. Nul ne pouvait
entrer dans le palais, ou en sortir, sans la permission de l'Oc-Meuang.
Un panneau de l'immense porte de bois s'ouvrit en
grinçant : l'Oc-Meuang, vêtu d'une tunique rouge sans col et de genouillères
assorties, des bracelets d'or aux bras, apparut et salua le Barcalon. Il jeta
un rapide coup d'œil au cortège d'esclaves, puis son regard s'arrêta sur
Phaulkon. S'approchant de lui, il le palpa pour vérifier qu'il ne dissimulait
pas d'arme sous ses vêtements, puis respira son haleine pour y déceler une
éventuelle trace d'alcool : un homme armé ou pris de boisson se voyait aussitôt
interdire l'accès du palais.
L'Oc-Meuang se déclara satisfait. On fit entrer le petit
groupe dans une première cour au sol recouvert d'herbe et ornée d'une superbe
fontaine, puis on les conduisit jusqu'à une large terrasse entourée d'un muret
de briques. Là, les cent membres de la garde du roi, connus sous le nom de Bras
rouges, étaient accroupis : aucun homme n'avait en effet le droit de se tenir
debout dans l'enceinte du palais — sinon pour marcher — même en l'absence de Sa
Majesté. Les Bras rouges n'étaient
Weitere Kostenlose Bücher