Le faucon du siam
Son
panung noir couvrait complètement ses cuisses mais révélait de façon séduisante
ses jambes pâles et délicates et ses petits pieds fins comme de la porcelaine.
Elle mesurait à peine un peu plus d'un mètre cinquante mais elle était
parfaitement proportionnée : en cet instant Phaulkon se répéta qu'elle était
vraiment la réincarnation de Diane, la déesse de la Chasse. Il se demanda si la
statue se dressait toujours sur la petite place près de sa maison natale. Comme
tout cela lui paraissait loin ! Et voilà que ce petit garçon qui avait admiré
la statue se métamoiphosait en potentat d'une fabuleuse cour orientale. La vie
était vraiment imprévisible.
Maintenant que le moment était venu, il était
terriblement nerveux. Non pas tant qu'il craignît la réaction de la jeune fille
— après tout, le père Vachet lui avait clairement exposé les sentiments que
Maria lui portait et la nervosité de son oncle n'avait fait que le confirmer —,
mais parce qu'il ne savait pas jusqu'à quel point il était capable de mentir à
Maria. S'atten-drait-elle à l'entendre dire qu'il l'aimait ? Il pouvait fort
bien en tomber amoureux, se dit-il, car il y avait chez la jeune fille
suffisamment de qualités à admirer : mais il éprouvait une étrange timidité à
lui dire maintenant en face qu'il l'aimait. En vérité, et il le savait fort
bien, il était ensorcelé par Sunida.
L'ironie de tout cela, songea-t-il, c'était que la
situation aurait été bien plus facile dans son pays natal. Là-bas, le mariage
aurait été arrangé par les parents, comme presque toutes les unions, et celui-ci
aurait eu de meilleures chances de réussir que d'autres car il existait déjà
entre eux un respect mutuel — et même du côté de Maria des sentiments très
profonds. Mais ici, au Siam, les femmes étaient beaucoup plus libres de faire
leur choix et de divorcer s'il ne coirespondait pas à leur attente.
La voix de Maria vint interrompre le cours de ses
pensées. « Mon Seigneur, êtes-vous venu ici pour rêver en silence, ou bien
est-ce la façon des mandarins de rester assis sans rien dire tandis que leurs
sujets se réchauffent à l'aura de leur présence ?
— Pardonne-moi, Maria, dit-il, brusquement tiré de
sa rêverie. En fait c'est à toi que je pensais.
— Mais je suis ici, Constant. Vous pourriez me faire
l'honneur de m'adresser la parole. » Elle se rembrunit. « Vous vous conduisez
bizarrement depuis quelque temps. D'abord, vous ne nous rendez pas visite
pendant des semaines, et puis, lorsque vous le faites, vous restez assis
silencieux, l'air lointain.
— Si je garde le silence, Maria, c'est parce que je
n'ai cessé de retourner une idée dans mon esprit. Une chose à propos de
laquelle j'aimerais t'interroger.
— Alors pourquoi ne me le demandez-vous pas,
Constant ? Je vous écoute.
— Maria, il y a quelques instants, j'ai demandé à
ton oncle de m'accorder ta main. »
Elle ouvrit de grands yeux. « Vraiment ? Et quelle a été
sa réponse? On peut dire, Constant, que vous savez éveiller la curiosité d'une
femme. »
Il se demanda si sa désinvolture apparente était due à la
nervosité. « Il m'a conseillé de te poser la question.
— Très sage précaution. Et fort juste aussi. » Elle
le contempla un moment en silence. « Car ma réponse, Constant, doit être non. »
Manifestement pris au dépourvu, Phaulkon ne voulut tout
d'abord pas la croire. Il mit cette attitude sur le compte de l'orgueil de la
jeune fille, mais aussi de la façon maladroite et un peu abrupte dont il avait
abordé le sujet. Il avait compris tout en parlant que sa demande avait paru
plate et guère inspirée : en même temps, il était étrangement soulagé de ne pas
l'avoir accablée de fausses déclarations de dévouement éternel. Il pouvait
supporter la maladresse plus facilement que le mensonge éhonté.
« Puis-je te demander pourquoi? » interrogea-t-il.
Elle le regarda de nouveau, puis reprit d'un ton doux et
dépourvu de toute trace d'amertume ni de rancœur : « Pour tout un ensemble de
raisons,
Constant. Parce que vous n'êtes pas catholique, parce que
je ne pourrai pas accepter le style de vie que vous menez et parce que je ne
pense pas que vous m'aimiez vraiment. » Elle s'interrompit. « Pour ma part, je
ne cacherai pas le fait que je vous adore. Mais, étant donné les circonstances,
une telle union serait pour moi trop cher payer. »
Ce fut au tour de Phaulkon de rester muet. Les pensées
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