Le faucon du siam
qu'il approchait de la maison de Maria, tous ces
problèmes s'effacèrent devant une question plus urgente : Maria allait-elle
accepter sa demande en mariage? Il n'avait pas d'autre alternative et devait
absolument obtenir son consentement.
La jeune fille était fière et obstinée, elle ne manquerait
pas de s'inteiToger sur les raisons qui motivaient une telle demande : pourquoi
voulait-il soudainement l'épouser? Elle voudrait le savoir, mais il ne pouvait
lui avouer la vérité. Elle n'accepterait sans doute pas l'idée d'un mariage
politique, encore moins si elle en connaissait les véritables raisons, à savoir
un traité avec la France ! Il devrait lui expliquer sa réticence à avoir abordé
plus tôt le sujet en insistant sur la réserve que lui inspirait leur différence
d'âge et l'embarras que lui causait son amitié pour mestre Phanik. Il
l'avait évitée tout ce temps-là pour mieux réfléchir. Mais se contenterait-elle
de ces explica-
tions? Et si par hasard il parvenait à la convaincre,
quel sentiment éprouverait-il lui-même à la tromper ainsi? Aurait-il des
remords? Pas vraiment, songea-t-il, et cela pour plusieurs raisons. Tout
d'abord, il avait bien l'intention de la traiter avec le respect qu'il avait
toujours éprouvé pour elle. Ensuite, compte tenu des autres éventualités — pour
lui, pas de traité avec la France, une incarcération probable par les
Hollandais ou la comparution devant une cour martiale anglaise ; et pour elle,
le harcèlement des Hollandais protestants, l'expulsion de ses professeurs
jésuites et l'impossibilité de revoir Phaulkon —, il se sentait au fond
justifié de présenter la vérité sous l'éclairage qui lui convenait. D'ailleurs,
si elle était amoureuse de lui, ce qui semblait être le cas, elle ne
souhaiterait certainement pas se trouver séparée de lui, peut-être à jamais.
Il tira le cordon de la cloche devant la maison de mestre Phanik et attendit avec appréhension que l'on vînt lui ouvrir la porte. Un
domestique apparut, le reconnut et le fit entrer en s'inclinant bien bas. Mestre Phanik et dame Maria étaient là, lui annonça-t-on. Mestre Phanik se tenait dans le salon et dame Maria étudiait dans sa chambre.
« Tiens, tiens, bienvenue dans notre humble demeure, mon
Seigneur mandarin ! » Le visage rond de mestre Phanik rayonnait de bonne
humeur tandis qu'il accueillait son ami avec plus d'effusions encore que
d'habitude. « Mais quel honneur! J'espère que vous avez reçu mon mot de
félicitations? Je l'ai envoyé dès l'instant où j'ai appris la nouvelle.
— Je l'ai reçu, merci doutor. C'était fort
aimable de votre part.
— Pas du tout, pas du tout, mon cher ami. Mais vous
ne portez pas votre chapeau ! s'exclama-t-il en le toisant de la tête aux
pieds. Ni vos babouches. Pourquoi cette soudaine timidité? Un mandarin doit
accepter l'apparat que confère sa position. Je veux tout savoir de la cérémonie.
Qu'a dit Sa Majesté? S'est-elle adressée directement à vous? Avez-vous pu
comprendre quelque chose au jargon royal ? Qui était
présent? » Mestre Phanik leva les bras au ciel. «
Mais je suis là à bavarder et j'oublie complètement les bonnes manières.
Asseyez-vous donc. Que puis-je vous offrir?
— Du thé, très volontiers. Merci, doutor. »
Mestre Phanik frappa dans ses mains pour appeler
un domestique. « Asseyons-nous, asseyons-nous. Je suis
vraiment honoré que vous trouviez le temps de nous rendre visite si rapidement
après votre promotion. » Il baissa les yeux d'un air embarrassé. « Je craignais
qu'après l'impardonnable attitude de ma nièce au banquet nous ne nous
reverrions jamais.
— Oh, voyons, doutor... Ce n'est qu'une jeune
personne pleine de vie, voilà tout. Cela fait partie de son charme.
— Et vous, Constant, vous êtes un diplomate-né. »
Phaulkon le regarda droit dans les yeux. « Je vous
assure que je suis sincère. J'ai la plus haute estime
pour elle, doutor.
— Eh bien... » Mestre Phanik était soudain
mal à l'aise. « Je suis certain... que... c'est tout à fait réciproque. »
Phaulkon avait rarement vu mestre Phanik rougir.
Devait-il aborder le sujet en premier lieu avec lui ? se demanda-t-il.
Peut-être le destin le voulait-il ainsi puisque, fort opportunément, Maria
n'était pas dans la pièce.
« Ainsi, mon cher ami, reprit mestre Phanik,
détournant la conversation au moment où Phaulkon s'apprêtait à poursuivre,
l'accumulation des services que vous avez rendus à
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