Le faucon du siam
Phaulkon.
— Il nous semble, Vichaiyen, que la solution la plus
simple consisterait à rédiger le traité et à l'exhiber pour que les Hollandais
puissent le voir, puis qu'il se perde fort opportunément lors du voyage
jusqu'en France. Ce sera votre tâche, Vichaiyen, de veiller à ce que ce petit
incident se produise.
— Auguste Seigneur, je reçois vos ordres.
— Auquel cas, nous n'avons aucune objection à ce que
le traité comprenne un échange de troupes.
— Puissant Seigneur, il en sera comme vous
l'ordonnez.
— Alors, très bien, voilà qui est réglé. Nous
attendrons avec intérêt votre premier projet de texte, Vichaiyen. Et nous
déciderons de l'urgence de ce traité après nous être entretenu avec
l'interprète hollandais. En attendant, notre Pra Klang va emporter jusqu'aux
prisons publiques notre sceau et informer les gardes que le farang Potts doit
être transféré dans les cachots du palais. Il sera expulsé d'Avuthia à la
faveur de la nuit : on lui fournira une escorte appropriée pour gagner Mergui
et de l'argent en quantité suffisante pour payer son passage jusqu'à Madras. On
lui fera comprendre que ce sont les membres de la Compagnie anglaise d'Avuthia
qui ont plaidé sa cause, notamment vous, Vichaiyen. Et aussi que vous vous êtes
proposé en otage en échange de la libération du prisonnier. Nous ne voudrions
pas voir notre mandarin le plus récemment nommé encourir la colère des Anglais
alors que nous savons qu'il est innocent, n'est-ce pas?
— Certes non, Auguste Seigneur, renchérit le Barcalon.
— Et maintenant, Vichaiyen, nous allons parler seuls
avec notre Pra Klang. Notre entrevue a été fructueuse et vous pourrez demander
de nouveau à nous rencontrer en privé quand le brouillon du traité sera prêt.
— Puissant Seigneur, je reçois vos ordres. Moi qui
ne suis que souillure et poussière, je remercie profondément le Seigneur de la
Vie de l'honneur dont il m'a comblé de me faire partager en privé sa sagesse et
son divin esprit. » Se soulevant sur les genoux, Phaulkon s'inclina et toucha
du front le sol par trois fois. Puis, respectueusement, il rampa à reculons. Il
allait devoir trouver sans délai Pieter l'Eurasien. Il n'y avait pas de temps à
perdre.
« Tu as sans doute des questions à nous poser, dit Sa
Majesté au Barcalon sitôt que Phaulkon fut sorti.
— En effet, Auguste Seigneur.
— Alors nous t'écoutons.
— Puissant Seigneur, moi, un cheveu, je dois vous
signaler que Vichaiyen s'est converti hier à la foi catholique. Un de nos
mandarins chrétiens, dont le fils a été placé dans un bassin de leur eau bénite
à la même cérémonie, est venu m'annoncer la nouvelle. Je crains, Auguste
Seigneur, que Vichaiyen ne travaille peut-être pour les Jésuites. Il est
assurément très impatient d'obtenir ce traité avec la France.
— Nous avons aussi envisagé cette possibilité. C'est
pourquoi nous souhaitons que tu interroges l'interprète hollandais. S'il est
confirmé que les Hollandais préparent bien la guerre, alors la précipitation de
Vichaiyen est justifiée. Mais si ce n'est pas le cas, nous conclurons comme toi
qu'il est à la solde des Jésuites. Peut-être as-tu noté qu'il n'a rien dit
d'une attaque hollandaise avant que nous n'ayons annoncé que le traité devait
attendre le retour de Perse du navire anglais...
— Je l'ai bien remarqué, Puissant Seigneur. Et
c'était fort habile de la part de Votre Majesté d'obliger Vichaiyen à révéler
ce qu'il savait.
— Ce n'était pas notre seul motif. Car non seulement
il nous faut être convaincu de sa fidélité, mais nous sommes en outre réticent
à l'idée d'annoncer tout traité avec une puissance farang avant que cela ne
soit absolument nécessaire. Les Maures sont déjà vexés des récentes concessions
faites aux farangs et nous ne voulons pas exacerber leur susceptibilité si
délicate. Trop de revers à la fois risqueraient de leur forcer la main.
— En effet, Auguste Seigneur. Pourtant, s'il y a de
la vérité dans ces rumeurs concernant une attaque hollandaise, ne serait-il pas
nécessaire d'annoncer le traité bien avant toute confirmation officielle au
sujet d'une invasion, afin qu'il n'apparaisse pas comme une contrainte
politique?
— Nous sommes bien d'accord. C'est pourquoi nous
devons d'abord être tout à fait sûr de notre terrain. Et nous sommes convaincu
que tu parviendras à évaluer correctement le témoignage de
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