Le faucon du siam
d'initiative. Mais Van Risling avait insisté pour l'emmener,
disant qu'il lui était indispensable à Ligor, et Aarnout Faa n'avait pas
insisté. Il plaignait son assistant : Joop, après tout, souffrait encore des
suites de son accident à Louvo, et ce n'était que justice de lui accorder les
consolations qu'il demandait.
On frappa à la porte.
« Excusez-moi, Excellence, dit le domestique indien dans
un hollandais hésitant. Il y a à la porte de la factorerie un farang qui
demande à vous voir. Il n'a pas l'air bien du tout.
— Entendu, fais-le entrer. » Inutile de demander un
nom à ces gens-là : ils ne les comprenaient jamais.
Quelques instants plus tard, une macabre apparition
s'encadra sur le seuil du bureau du directeur. Le visage avait les traits
tirés, les cheveux clairsemés étaient en désordre, on voyait de grands cernes
sous ses yeux et des marques profondes des deux côtés du cou. Les vêtements
européens, culotte et tunique, étaient presque en haillons.
« Monsieur Potts! s'exclama Aarnout Faa, reculant
machinalement. Qu'est-ce que... qu'est-ce que vous faites ici ? » Malgré ce
pénible spectacle, le directeur hollandais parvint à sourire. « Vous vous êtes
échappé? »
Samuel Potts se laissa tomber dans un fauteuil.
« Votre modestie, monsieur, me touche infiniment, mais
mes geôliers m'ont informé du rôle que vous avez joué dans ma libération,
fit-il d'une voix faible.
— Mon rôle ? répéta Aarnout Faa, incapable de
dissimuler sa surprise.
— Certes, monsieur, et je ne saurais vous dire combien
je vous suis reconnaissant de vous être proposé vous-même en otage en échange
de ma libération. Vous avez ma parole, monsieur, que vous serez bientôt délivré
de cette obligation. Dès que j'aurai atteint Madras, l'indispensable lettre
d'excuses sera envoyée aux autorités siamoises, ainsi que les indemnités
réclamées pour l'incendie. » Potts secoua lentement la tête. « Vous, monsieur,
un Hollandais, en avez fait davantage pour moi que tous les membres de la
factorerie anglaise réunis. Ils paieront cher leurs péchés. Je n'aurai de cesse
que de les voir tous pendus. Et, écoutez-moi bien, monsieur, ils le seront. »
Les pensées se bousculaient dans la tête d'Aarnout Faa.
Qui avait fait libérer Potts ? Qui avait promis que lui-même prendrait sa place
en otage ? Ce devait être ce démon de Phaulkon, usant de ses nouveaux pouvoirs
de mandarin. Qui d'autre ? Mais pourquoi diable Phaulkon voulait-il la
libération de Potts? Cela ne ferait que hâter sa comparution en cour martiale !
Et la détention prolongée de Potts, songea le directeur avec colère, était
l'excuse qu'il devait précisément utiliser pour sa déclaration de guerre.
Phaulkon ne pouvait pourtant rien en savoir. Alors pourquoi avait-il fait
libérer Potts? Peut-être les Siamois avaient-ils simplement décidé de le
relâcher. Mais pourquoi? Inutile de questionner Potts. Quel que fût le
responsable de son élargissement, il avait dit à Potts ce qu'il voulait lui
faire croire.
La voix de son visiteur affalé de l'autre côté du bureau
tira Faa de ses pensées.
« Me permettriez-vous, monsieur, de me reposer ici
quelques jours avant de partir pour Mergui? J'ai besoin de reprendre des forces
pour le voyage. Vous pouvez être assuré que je vous rembourserai pleinement de
vos bontés, y compris le don généreux que vous m'avez fait pour couvrir les
dépenses de mon voyage et de mon passage pour Madras. »
Aarnout parvint à se contrôler.
« Monsieur Potts, c'est le moins que je pouvais faire
pour un gentleman de votre position, auquel on a causé de si grands torts. Mon
médecin va s'occuper de vous et vous pourrez rester ici pour vous remettre
aussi longtemps que vous le souhaiterez. D'ailleurs, heer Van Risling a
quitté ce matin notre maison d'hôtes pour retourner à Ligor. »
Celui qui avait manigancé tout cela avait bien fait les
choses, songea le Hollandais. Bah, il allait devoir en prendre son parti et en
revenir à son plan originel : renvoyer Potts à Madras. Au moins l'homme
allait-il une fois pour toutes accuser les agents anglais au Siam. Toutefois,
il était fort ennuyeux de ne pas pouvoir s'abriter derrière Potts pour déclarer
la guerre. Il trouverait bien un autre prétexte, se promit-il. Après tout, il
avait trois bonnes semaines pour le préparer.
« Je suis à court de mots pour vous remercier de tout ce
que vous avez fait, monsieur, conclut Potts en
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