Le faucon du siam
incrédule.
— Mais oui, Auguste Seigneur.
— Que confesse-t-il, Vichaiyen ?
— Auguste Seigneur, la poussière de vos pieds pense
qu'il confesse que le Maître de la Vie, le grand roi de Siam, envisage
d'adopter la foi chrétienne et qu'il serait sage de conclure une alliance avec
lui, afin de mieux surveiller ses progrès. »
Un grand rire retentit en haut et Phaulkon eut
l'impression qu'une bouffée d'air frais venait de rafraîchir l'austère
formalité de ses relations avec le roi. Auprès de lui, le Barcalon rit à son
tour, même si sa voix n'avait pas sa tonalité habituelle. Phaulkon savait que,
ces derniers temps, il n'était pas en bonne santé : son apparence physique
trahissait d'ailleurs des signes d'épuisement.
« Vichaiyen, vous nous mettez de bonne humeur. Mais, même
si votre idée a ses mérites, il faudra longtemps pour la réaliser. Et nous
craignons que les farangs hollandais ne nous laissent pas de délai suffisant. »
Phaulkon s'était longuement demandé s'il devait informer
Sa Majesté de l'imminence de l'invasion hollandaise : il avait fini par décider
que non. Il ne savait pas comment Sa Majesté allait réagir à cette nouvelle et
il redoutait que des mesures brutales de représailles ne viennent contrecarrer
ses propres plans. Sa Majesté pouvait faire arrêter Aarnout Faa et fermer ainsi
la porte à toute solution pacifique. Phaulkon avait donc décidé de ne révéler
le projet d'invasion que si Sa Majesté refusait catégoriquement l'idée d'un
traité avec la France.
« Auguste Seigneur, le cheveu de votre tête implore le
pardon pour sa présomption, mais les Jésuites français d'ici ont hâte de
proclamer l'annonce d'une grande alliance avec la France, si Votre Gracieuse
Majesté veut bien leur donner l'assurance qu'elle envisage de se convertir.
— Vous leur avez parlé? dit le roi d'une voix
surprise.
— Auguste Seigneur, ils ont abordé ce point en
quémandant mon assistance. »
La veille au soir seulement, le père Vachet avait informé
Phaulkon de l'accord de ses collègues, sous deux conditions. Les Jésuites
demandaient une preuve satisfaisante que Sa Majesté avait bien l'intention de
se convertir; en outre, ils voulaient que le traité fût rédigé par les
autorités siamoises et qu'il leur fût ensuite présenté pour obtenir leur
approbation. De cette façon, la proposition semblerait venir des Siamois.
« Et ces prêtres peuvent annoncer une telle alliance sans
l'approbation de leur roi ? » Sa Majesté semblait de nouveau incrédule.
« Auguste Seigneur, ils sont prêts à prendre ce risque
étant donné l'urgence de l'affaire et la certitude qu'ils ont de devancer les
désirs de leur souverain.
— Et quelles assurances ces prêtres demandent-ils
quant à nos intentions?
— Auguste Seigneur, le cheveu de votre tête est
persuadé que, pour les convaincre de la sincérité de Votre Majesté, il
suffirait de prier l'un d'eux de venir au palais donner à Votre Majesté une
instruction religieuse. » Il s'interrompit. « L'intérêt que porte le Seigneur
de la Vie à tout ce qui touche à la connaissance est si fameuse que si Votre
Majesté voulait bien traiter cela comme un simple exercice intellectuel...
— Écouter un autre homme vous exposer sa version de
Dieu n'est pas un trop lourd tribut pour un traité susceptible d'assurer le
maintien de notre indépendance, Vichaiyen. Nous aussi, nous prêchons l'amour de
notre prochain, nous dénonçons le vol, le meurtre et le mensonge. Ce qui nous
préoccupe davantage, c'est que ces prêtres ne se lavent pas. Nos narines
doivent-elles être offensées aussi bien que nos oreilles ? »
Le Barcalon et Phaulkon éclatèrent de rire tous les deux.
« Puissant Seigneur, suggéra le Barcalon, le cheveu de
votre tête a la présomption de suggérer que, puisque c'est l'idée de Vichaiyen,
qu'il soit aussi de sa responsabilité de veiller à ce que le prêtre qui vous
rendra visite soit toujours soigneusement nettoyé.
— Excellente proposition, reconnut Sa Majesté. Nous
sommes d'accord. Et, outre cette tâche essentielle, Vichaiyen, vous allez
rédiger un traité dans notre langue et dans la leur et le remettre à notre Pra
Klang pour qu'il l'étudié. Alors seulement nous déciderons si nous entendons
poursuivre l'affaire. Mais, dans tous les cas, ce ne sera pas avant le retour
de Perse du navire. »
Phaulkon éprouva un frisson en entendant ces derniers
mots. Il ne s'attendait pas à ça. Le
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