Le faucon du siam
Connvall ne serait pas de retour
avant un mois au moins. Et l'invasion hollandaise pouvait commencer d'ici à
trois semaines.
« Auguste Seigneur, si, pour une raison quelconque, le
vaisseau devait avoir du retard et si les Hollandais estimaient que rien ne
saurait plus les détourner...
— Sauf nos forces armées, Vichaiyen ?» Il y avait
une nuance ironique dans le ton du souverain.
« Puissant Seigneur, si les forces de Votre Majesté sont
en effet préparées, alors il n'est même pas nécessaire de conclure un traité
avec la France. »
Il y eut un bref silence.
« Naturellement, Vichaiyen, nous ferons tout notre
possible — dans la mesure du raisonnable — pour éviter la guerre. Mais
avez-vous eu quelque indication d'une attaque hollandaise imminente? Des
préparatifs inhabituels, par exemple ? »
Phaulkon hésita. Mieux valait prévenir Sa Majesté dès
maintenant. Il ne pouvait se permettre d'attendre le retour de Perse du navire.
Pourquoi Sa Majesté insistait-elle sur ce point? se demanda-t-il.
« Auguste Seigneur, le bruit court qu'une importante
flotte hollandaise se regroupe actuellement à Batavia. Douze navires de guerre,
Votre Majesté.
— Douze navires de guerre ? En avez-vous prévenu
notre Pra Klang, Vichaiyen?
— Puissant Seigneur, cet indigne esclave ne vient
lui-même d'apprendre la nouvelle qu'à l'instant.
— Et vous ne l'avez pas signalé plus tôt à notre
intention, observa sèchement Sa Majesté. Où avez-vous entendu ces rumeurs? »
Phaulkon se maudissait de n'avoir pas abordé plus tôt ce
problème.
« Puissant Seigneur, auprès de l'interprète attaché à la
factorerie hollandaise de Ligor. II... il a intercepté des dépêches envoyées à
Batavia et il est venu m'en avertir.
— Et vous faites confiance à un employé hollandais qui vient vous conter de telles histoires? Nous en sommes
surpris, Vichaiyen.
— Puissant Seigneur, l'interprète hollandais, auquel
j'ai déjà eu à faire, était très vivement opposé à la politique de son pays.
C'est ce qui l'a incité à me révéler ce qu'il savait.
— Vichaiyen, sitôt cette audience terminée, vous
allez sans tarder convoquer cet interprète hollandais au ministère. Notre Pra
Klang l'interrogera et nous jugerons par nous-même. En attendant, nous
n'annoncerons pas tout de suite la signature d'un traité.
— Puissant Seigneur, je reçois vos ordres.
— Mais pour l'instant, poursuivit Sa Majesté, nous
allons examiner l'essentiel de ce que proposent ces Jésuites pour le traité
qu'ils désirent conclure avec nous. »
C'était une demande que Phaulkon avait tout à la fois
l'espoir et la crainte d'entendre. Il lui fallait d'une façon ou d'une autre
aborder le sujet délicat de troupes étrangères en territoire siamois. Une telle
clause devait figurer dans le traité pour que les Hollandais le prennent au
sérieux. Ils se rappelleraient la perte de la Flandre devant les armées de
France. Mais comment le maître de Siam allait-il réagir à pareille proposition
?
Phaulkon se prosterna encore plus bas sur les tapis.
« Puissant Seigneur et Maître, je cherche l'audace de
dire à Votre Majesté ce que je pense de l'affaire dont elle a daigné discuter
avec moi qui ne suis que son esclave. Je demande la permission d'insérer dans
le traité une clause qui permette aussi l'envoi d'un régiment de soldats. »
Il y eut quelques instants de silence.
« Vous voulez dire, Vichaiyen, que le roi de France a
besoin d'un régiment de soldats siamois pour sa protection? Il faudrait poser
la question au général Petraja. »
Phaulkon sentit son cœur battre la chamade. Il se demanda
un instant si le roi était sérieux, puis il entendit pouffer le Barcalon.
Phaulkon poussa un soupir de soulagement. Sa Majesté plaisantait. Il entrevit
soudain la bonne ouverture.
« Auguste Seigneur, ce que ce grain de poussière avait à
l'esprit était plutôt un simple échange de troupes entre le Siam et la France.
— Vraiment ? Mais comment nos nobles éléphants
supporteraient-ils la rigueur des hivers en Europe? Quelles assurances
avons-nous que l'on déploierait un assez grand nombre d'esclaves français pour
subvenir à leurs besoins ? »
Une fois encore, Phaulkon ne savait pas très bien si Sa
Majesté plaisantait ou non. Cette fois le Barcalon ne lui fournit aucune
indication.
« Puissant Seigneur, nous poumons stipuler dans le traité
le nombre d'esclaves nécessaires, risqua prudemment
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