Le faucon du siam
roi. » Une fois de plus l'Oc-Ya avait fort bien exprimé les
sentiments de ses collègues.
Le prince passa une main dans son épaisse crinière noire.
« Bien sûr, vous avez raison. Mais qui a parlé de diriger le pays à la place
des Siamois ? » Un sourire s'esquissa sur son visage. « Ce que je propose,
c'est de remplacer le dirigeant siamois par un autre, un homme qui déteste les
farangs, qui nous rétablirait
dans nos positions traditionnelles et qui nous laisserait
continuer à administrer le pays comme avant. Un tel personnage m'a déjà
approché.
— Pouvons-nous savoir de qui il s'agit, Votre
Altesse ?
— Bien sûr. De Luang Sorasak. Il est venu me rendre
visite à mon camp juste au moment où vous avez réclamé ma présence à Mergui. Il
a évoqué le ressentiment qui se développe à la Cour devant les privilèges de
plus en plus étendus accordés aux farangs, et surtout devant la nomination de
ce mandarin farang. Nous trouverions de nombreux appuis à l'intérieur du palais
: d'autant plus que le bruit court d'une alliance imminente avec la France.
Certains disent même que l'on est en train de rédiger un traité prévoyant un
échange de troupes entre les deux pays. Si cela est vrai, cela signifierait la
présence de soldats farangs sur le sol siamois. » Le prince regarda autour de
lui, enchanté de l'effet produit par ses paroles. L'assemblée était scandalisée.
« Ce matin même, un émissaire secret du général Petraja en personne est venu me
voir et m'a laissé entendre que le général appuyait également son fils. Même
les courtisans non musulmans, semble-t-il, renâclent devant le pouvoir
croissant du chien blanc et sont furieux à l'idée de voir arriver des troupes
étrangères. Voilà pourquoi, mes frères, il est temps d'agir. Sans hésitation,
je m'engage à faire renverser par mes hommes le gouvernement actuel, à
assassiner Phaulkon, et à installer Sorasak sur le trône de Siam. De son côté,
celui-ci s'engage à nous restaurer dans notre gloire d'antan. »
Il y eut un long silence. Puis, l'un après l'autre,
certains d'abord avec quelque hésitation, les membres du Conseil votèrent en
faveur du plan du prince Daï. L'Oc-Ya Tannaw fut le dernier à parler.
« Je gage donc, Votre Altesse, que vos troupes sont
prêtes? »
Le prince sourit. « Voilà trop longtemps que mon peuple
est désœuvré.
— Alors, très bien, conclut l'Oc-Ya en regardant
autour de lui. Qu'Allah bénisse la révolte des Macassars. »
Phaulkon arpentait le salon, rongeant son frein. Une
semaine encore avait passé. Le délai nécessaire aux vaisseaux hollandais pour
venir de Batavia était écoulé. S'ils avaient appareillé comme prévu, ils
pourraient arriver d'un jour à l'autre. Phaulkon avait tenté par tous les
moyens d'être reçu par Sa Majesté, mais la réponse était toujours la même : le
Seigneur de la Vie était trop occupé. Même le Barcalon n'était pas disponible,
mais lui, c'était pour de vraies raisons, Phaulkon le savait : le ministre
était cloué au lit, en proie à de fréquentes crises d'asthme. Et toujours pas
de nouvelles du retour de l'expédition de Perse.
De plus en plus impatient et inquiet, Phaulkon avait décidé
de prendre l'affaire en main. Si rien n'arrivait aujourd'hui, il irait rendre
visite à Aarnout Faa pour lui parler du prochain traité avec la France. Ce
n'était pas la méthode qui avait sa préférence, mais, s'il parvenait à
présenter l'affaire avec des détails suffisamment convaincants, peut-être cela
ferait-il réfléchir le directeur hollandais. Si l'on pouvait retarder ne
serait-ce que de quelques jours l'invasion, Sa Majesté pourrait entre-temps
annoncer le traité. La manœuvre était maladroite, il le savait, mais c'était
mieux que rien.
Voilà une semaine qu'il n'avait pas vu Maria : depuis
qu'elle lui avait refusé sa main à cause de Sunida. Mais il ne semblait guère
opportun de poursuivre l'affaire à ce stade, alors que rien n'indiquait la
signature prochaine d'un traité. D'ailleurs, il n'avait aucune envie de se
séparer de Sunida. Il était grand temps, songeait-il, que sa chance commence à
tourner. Dans un moment de désespoir, il était même allé consulter l'astrologue
de la Cour, Pra Sarit. Il avait fait en son temps quelques prévisions
stupéfiantes. Le vieux moine vénérable avait lu les étoiles et assuré à
Phaulkon que sa fortune allait prendre un tournant spectaculaire d'ici un jour
ou deux. Phaulkon
Weitere Kostenlose Bücher