Le faucon du siam
nous faire tous passer en cour martiale? Je suis responsable
de la Compagnie ici. Que va-t-il advenir de nous maintenant ? »
Ivatt, cependant, s'occupait de Potts. Il avait appuyé
l'homme contre son genou et lui massait la poitrine. Burnaby était trop
essoufflé pour l'aider. White, le dos appuyé au mur, marmonnait des propos
incohérents. Sur ces entrefaites, le prêtre au teint sombre s'approcha et lui
murmura quelques mots en siamois. Il se pencha ensuite sur Potts et colla son
oreille contre le cœur de l'Anglais.
Agenouillé à son côté, il commença une petite prière. Il
fit un signe de croix et regarda les autres en souriant, comme pour signifier
que Potts allait se remettre. Au bout d'un moment, il se leva et, se dirigeant
vers la porte, il se pencha prestement pour examiner le lingot d'argent posé
par Potts sur le sol près de la caisse ouverte. Un des matelots s'approcha,
menaçant. Le prêtre eut un sourire timide et reposa le lingot. Puis il franchit
rapidement la porte et disparut en descendant la colline.
Luang Aziz sonna à la porte et on le fit aussitôt entrer.
Il ôta sa capuche et pénétra dans la maison, toujours vêtu de sa robe de
prêtre. Il n'avait pas eu le temps de se changer.
Il s'inclina bien bas devant l'Oc-Ya Tannaw puis, plus
bas encore, devant l'invité d'honneur moustachu qui se tenait un peu raide à la
droite de l'Oc-Ya.
« Votre Altesse, murmura-t-il en se baissant.
— Alors? dit l'Oc-Ya Tannaw. Quelles nouvelles nous
apportes-tu, Aziz? »
Cinq paires d'yeux sombres fixèrent le nouveau venu. Le
silence s'abattit sur la pièce.
Luang Aziz alla s'asseoir en tailleur à la seule place du
cercle restée libre et contempla un moment les gravures accrochées aux murs.
Comme elles étaient de circonstance, songea-t-il, ces scènes de rue d'Ispa-han,
surtout celles qui dépeignaient un marché persan. Peut-être était-ce à celui-ci
que les farangs s'étaient rendus.
« J'apporte de mauvaises nouvelles, mes frères. La lettre
que j'avais dérobée à la fille était un faux. »
Un murmure de consternation se fit entendre.
« Mais n'avais-tu pas dit qu'elle avait résisté jusqu'au
dernier moment avant de se séparer de cette lettre? demanda l'Oc-Ya Tannaw
perplexe.
— Elle était bien entraînée, Votre Honneur, répondit
Aziz. Son numéro était très convaincant. »
Il regarda autour de lui, préoccupé par l'importance de
ce qu'il avait découvert et savourant en même temps ce moment de gloire. Ce
n'était pas souvent qu'un homme pouvait annoncer des nouvelles aussi graves à
une aussi illustre société. Il observa le chef des Macassars et constata qu'il
était également suspendu à ses lèvres. « Le navire farang s'est rendu en Perse,
annonça-t-il. Il est revenu avec des caisses pleines d'argent. De l'argent
persan.
— Tu as vu les poinçons ? » demanda aussitôt
l'Oc-Ya.
Aziz acquiesça. « Je les ai vus, Votre Honneur. Persans,
à n'en pas douter. Et le plus intéressant, c'est que le navire farang n'a
jamais accosté à Mergui. Les caisses ont été déchargées d'une jonque siamoise.
Comme c'était une embarcation trop petite pour avoir fait le voyage depuis la
Perse, les marchandises ont dû être transférées à bord quelque part en mer. De
toute évidence, le navire farang voulait éviter d'être vu. Il a dû repartir
pour son port d'attache — Madras sans doute.
— T'es-tu renseigné pour savoir qui avait procuré la
jonque ? demanda l'Oc-Ya.
— Oui, Votre Honneur : le prêtre jésuite, dom Francisco.
Et c'est un des farangs de la Compagnie anglaise qui la pilotait. » Les yeux
sombres de l'Oc-Ya Tannaw étincelèrent de colère. « Ce prêtre paiera sa
fourberie. »
Il promena sur les conseillers rassemblés un regard
grave.
« Mes frères, nous avons devant nous une conspiration
chrétienne dirigée par ce nouveau mandarin, Phaulkon. Et le roi, semble-t-il,
est de leur côté. »
Il y eut un murmure horrifié.
« Mais pourquoi? demanda Iqbal Sind en frottant
nerveusement un doigt contre son nez aquilin. Pourquoi Sa Majesté voudrait-elle
se ranger au côté des farangs ?
— Si tu regardes attentivement, Iqbal, tu
comprendras quel est leur plan. D'abord on retire à Rachid le service des
Banquets. Ensuite, on expédie secrètement en Perse les biens du Trésor à bord
d'un navire anglais. Et enfin, on nomme mandarin un homme de la Compagnie
commerciale britannique.
— Il est clair que l'on cherche à saper la position
des
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