Le faucon du siam
était prêt à se raccrocher au moindre espoir : la foi qu'il
avait dans son destin s'en était trouvée ranimée. Cela
s'était passé la veille. Phaulkon décida d'attendre le soir du second jour
avant d'aller rendre visite à Aarnout Faa.
Il était maintenant midi. Sunida s'en était allée au
marché transmettre l'ultime demande de son amant en vue d'obtenir une audience
du Seigneur de la Vie.
Il dormait mal la nuit et compensait ces insomnies par de
brèves siestes dans la journée : il était sur le point de s'allonger pour se
reposer lorsqu'il entendit des voix dehors. Pour la première fois depuis des
jours, il sentit son cœur battre plus fort et il se précipita à la fenêtre.
« Voici pour Son Excellence l'Oc-Luang quelques présents
de son personnel reconnaissant », déclarait Ivatt, dans un siamois
approximatif, au serviteur de Phaulkon qui pouffait de rire. « Où faut-il les
mettre ? »
Phaulkon se prit à rire en voyant une douzaine de grandes
caisses sur les épaules d'un groupe de coolies, dont le visage et le torse
ruisselaient de transpiration. Les prévisions de Pra Sarit une fois de plus se
révé-laient-elles exactes ?
« Déposez-les dans le salon pour que je puisse les
compter », s'écria Phaulkon en ouvrant la porte. Quelques instants plus tard,
il tombait dans les bras de ses camarades, Burnaby, Ivatt et White.
« Je présume qu'il y a quelque chose dans ces caisses ?
demanda Phaulkon sur le ton de la plaisanterie.
— À peu près de quoi acheter une paire de comtés anglais
et un duché, répondit Ivatt. Sam, que voici, a choisi les comtés, je prends le
duché, et Richard veut rentrer à Madras pour passer en jugement. »
Phaulkon jeta un coup d'œil à Burnaby. Ce n'était
peut-être pas une plaisanterie. Il n'avait apparemment pas l'air aussi
enthousiaste que les autres.
« Et moi ? » demanda Phaulkon.
Ivatt le regarda d'un air gêné. « Nous avons tous voté
pour conclure que seuls ceux qui ont réellement participé à l'expédition
méritent une récompense. Ce n'est que justice, d'ailleurs. Mais nous vous avons
rédigé une lettre de félicitations, reconnaissant votre rôle dans l'idée
d'origine.
— Je vais la faire encadrer, répliqua Phaulkon.
— Quand nous avons appris la nouvelle de votre
nomination, mon Seigneur Phaulkon, sur le Tenasse-rim, nous avons failli tomber
de nos pirogues, dit en riant Samuel White. Thomas a attendu que nous nous
trouvions au milieu de rapides pour nous l'annoncer. Je crois qu'il cherchait à
nous noyer.
— Vous sembliez avoir si peur du courant, Samuel,
fit Thomas, que j'ai cru que c'était le moment approprié pour vous changer les
idées. » Ils se mirent tous à rire, sauf Burnaby. Assis dans le salon de
Phaulkon, ils bavardaient gaiement. Ils évoquèrent brièvement leur rencontre
avec Potts, puis passèrent à des sujets plus intéressants. Ils étaient tous surexcités
lorsque Samuel raconta comment les marchands de Bandar Abbas et de Khorramshar
avaient d'abord fait preuve de réticence à acheter à des négociants européens
des marchandises siamoises : ils étaient surpris et se montraient méfiants de
ne pas avoir affaire à leurs traditionnels frères maures. Mais, en voyant la
somptueuse cargaison de soie et de porcelaine, ils furent vite convaincus :
bientôt ils discutaient et marchandaient comme des vautours acharnés sur la
carcasse d'un chameau. On se serait cru à une vente aux enchères. Les
acheteurs, montés à bord du navire, commencèrent par offrir un prix qui était
déjà trois fois le chiffre fixé par le Trésor siamois. Burnaby répliqua en
demandant neuf fois la valeur. Les marchands levèrent les bras au ciel mais,
quand Burnaby ordonna à White de hisser les voiles pour se rendre à la cour du
Grand Turc à Istanbul, les marchands se mirent rapidement d'accord pour
accepter jusqu'à six fois la valeur fixée.
Phaulkon examinait maintenant les énormes bénéfices qui s'entassaient
dans un coin du salon. Vingt caisses contenant à peu près cent livres d'argent
pur. Une fortune. Il allait en utiliser immédiatement une part modeste.
Seul Burnaby semblait morose : il ne partageait pas
l'exubérance des autres. « C'est très bien pour vous, Constant, d'être mandarin
étranger et tout ça, fit-il. Mais je suis toujours un Anglais responsable de la
Compagnie dans cette région. Une fois que Potts aura regagné Madras, que
croyez-vous qu'il adviendra de moi? Je ne comprends pas pourquoi
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