Le faucon du siam
n'a pu donner aucun
nom : le rapport mentionne seulement que l'un des trois parlait la langue.
J'attends dans les trois semaines une réponse d'Ayuthia, Excellence. » Joop Van
Risling était furieux d'avoir à attendre aussi longtemps : d'ici-là, il allait
au moins s'assurer que les farangs ne quittent pas Ligor.
« Bien. Nous attendrons avec intérêt. » Le gouverneur
marqua une pause. « Et, dites-moi, monsieur Lidrim, je suis curieux... Si,
comme vous le suggérez, il y avait des canons à bord du vaisseau anglais, où
pensez-vous qu'ils les transportaient ? »
Le Hollandais n'hésita qu'une fraction de seconde. « Je
ne serais pas surpris que ce soit aux rebelles de Pattani, Excellence. On les
paierait un bon prix là-bas.
— J'en suis certain. Mais leur poinçon ne permettrait-il
pas de remonter facilement jusqu'aux Anglais ? Serait-ce bien sage de la part
d'une nation qui a sollicité la réouverture de comptoirs sur nos rives? »
Le gouverneur savait pertinemment, comme peut-être une
douzaine des mandarins du plus haut rang dans le pays, que c'était en fait le
roi de Siam qui avait sollicité les Anglais. La politique officielle affirmait
que les Anglais étaient venus en suppliants. Bien sûr, si ces gens s'étaient
rendus coupables de transporter des canons en contrebande, comme le prétendait
ce farang hollandais, cela leur coûterait cher. Ce serait son devoir en tant
que gouverneur de la province de les faire tous exécuter pour trahison et,
s'ils étaient reconnus coupables, il n'hésiterait pas un instant. Mais il lui
fallait d'abord la preuve qui, d'après le farang hollandais, était en route.
Van Risling dut s'avouer que cette évidente contradiction
le déconcertait. Pourquoi les Anglais iraient-ils compromettre leur
installation en fournissant des canons aux rebelles? Il éluda donc la question
du mandarin.
« Ainsi, Excellence, nous allons mettre à exécution notre
petit plan, n'est-ce pas? Les trois Anglais, pour la première fois depuis
l'accident, vont être réunis ici dans votre salle d'audience. Ils auront
beaucoup à se dire et, à n'en pas douter, nous en apprendrons beau-coup. Puis
votre adjoint arrivera et leur annoncera solennellement qu'une partie de la
cargaison s'est échouée sur la côte... » Le Hollandais souriait d'avance. Au
Siam les maisons étaient toutes bâties sur des pilotis de teck pour éviter
d'être inondées à l'époque de la mousson : le plancher se trouvait donc à un
mètre vingt ou un mètre cinquante au-dessus du sol. Il y avait toute la place
nécessaire pour se cacher sous le parquet. Van Risling, assis juste sous les
Anglais, ne perdrait pas une de leurs paroles.
« Vous parlez leur langue, n'est-ce pas ? » questionna
poliment le mandarin. Il se demanda dans quelle mesure il pourrait faire
confiance à la traduction de ce Hollandais. Son plus habile espion, Snit,
serait bien sûr posté hors de vue pour guetter les réactions de ce dernier. Si
le visage du Batave exprimait le plaisir, c'était sans doute qu'il entendait ce
qu'il avait espéré entendre. Sinon...
« Suffisamment pour notre affaire », répondit le
Hollandais. Lui aussi se demandait comment le mandarin pourrait contrôler l'exactitude
de sa traduction. « Et ils n'auront pas le droit de quitter la ville ni même
leur maison avant notre épreuve, Excellence ? »
Il était fatigant, ce farang, à répéter toujours la même
chose. « Exact, monsieur Lidrim. Ils resteront jusque-là chacun séparément dans
la maison des invités. Ils devraient être rétablis pour demain. C'est
maintenant le quatrième jour depuis le naufrage et, à l'exception du grand qui,
me dit-on, est blessé au pied, ils se sont remis. Et vous avez mon assurance,
monsieur Lidrim, qu'ils resteront à Ligor jusqu'à ce que je sois certain que
l'on a établi la vérité », ajouta le gouverneur.
Van Risling se força à sourire. « Alors, très bien. Je
serai ici demain matin, Excellence. »
Il inclina brièvement la tête et le mandarin frémit
devant ce manque d'éducation. Le farang n'observait même pas les principes les
plus élémentaires de respect. Les farangs anglais allaient-ils se révéler aussi
mal élevés? Il n'en n'avait jamais rencontré, mais il n'en doutait pas.
On n'avait assurément pas l'air de s'aimer entre ces deux
nations farangs, songea-t-il. C'est pourquoi il faudrait soigneusement trier
les propos pour découvrir la vérité. Mais il avait ses méthodes. Evidemment, ce
serait
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