Le faucon du siam
à Ligor.
Non, se rappela-t-il, il y en avait un autre : un prêtre
portugais qui sentait presque aussi mauvais. Mais, conformément à la longue
tradition de tolérance religieuse du Siam, le gouverneur lui permettait
d'exercer en paix son ministère qui n'avait que peu de rapports avec lui.
« Mes esclaves m'ont rapporté que les nouveaux venus
parlent à peine trois mots de siamois entre eux », répondit aimablement le
mandarin. Ils se trouvaient dans la salle d'audience lambrissée de teck du
palais du gouverneur. Torse nu, l'inteiprète malais, dont la mère était
siamoise, était accroupi auprès du premier assistant du mandarin, le Palat.
Tous deux étaient appuyés sur les genoux et sur les coudes aux pieds du
gouverneur, tandis que des serviteurs restaient humblement accroupis dans les
coins. Le mandarin et le Hollandais étaient tous deux debout, position adoptée
à la suite d'un compromis. Le Hollandais trouvait inconfortable de demeurer
longtemps assis en tailleur. Au lieu de fauteuils, que l'on n'utilisait pas au
Siam, la salle d'audience contenait des nattes de paille et des coussins ainsi
que de superbes tapis persans, d'exquises porcelaines Ming, cadeaux pour la
plupart de Sa Majesté le roi au plus méritant de ses courtisans.
Normalement, Son Excellence devrait être confortablement
assise, les jambes repliées sous elle et allongée d'un côté, comme il convenait
à un homme de son rang. Les autres seraient prosternés devant lui, la tête bien
au-dessous du niveau de la sienne. Mais voilà, songea-t-il avec écœurement,
qu'il était contraint de rester inconfortablement debout auprès de cet énorme
farang. Ce rustre qui sentait si mauvais avait une tête de plus que lui et cela
était tout à la fois offensant et humiliant. Qu'allaient penser ces gens? La
tête du marchand farang ne devrait jamais être plus haute que la sienne.
« Je dois vous le répéter, Excellence, j'ai reçu voilà
quatre jours une dépêche urgente d'Ayuthia m'infor-mant que les membres de la
Compagnie commerciale anglaise ont profité de la bienveillance de votre
gracieux roi... »
À la mention de Sa Majesté, le gouverneur se prosterna.
Le Palat, l'interprète et les serviteurs se recroquevillèrent encore davantage
tandis que le Hollandais, abandonné au milieu d'une phrase, attendait avec
agacement que le gouverneur se relève.
« ... et que ces Anglais ont transporté illégalement des
canons le long de la côte du Siam, conclut-il.
— Nous ne songerions pas à mettre en doute
l'exactitude de vos rapports, monsieur Lidrim, répondit aimablement le
gouverneur, mais nos lois exigent malheureusement des preuves.
— Le gardien de leur propre entrepôt les a vus charger
sur le navire ! » s'exclama le Hollandais. L'apathie de ces Siamois
l'exaspérait. Il n'y avait aucun doute quant à l'exactitude de ses
informations. Son supérieur à Avuthia, Yopperhoofd en personne, avait
signé la dépêche que l'on avait envoyée par courrier à dos d'éléphant pour en
souligner l'urgence. Il y avait des canons à bord de la jonque anglaise,
précisait le message. Il avait ordre d'intercepter à tout prix le navire au
large de la côte de Ligor et de dénoncer les Anglais pour ce qu'ils étaient :
des fourbes et des contrebandiers. Van Risling serra les poings. C'était
l'occasion qu'il attendait depuis si longtemps, la chance d'écraser ces maudits
Britanniques et de les faire jeter hors du Siam comme ils allaient l'être de
Bantam. Quelle satisfaction de voir ce petit empire de parvenus s'écrouler, de
voir chassés ces impudents intrus qui s'imaginaient pouvoir défier la puissance
des Provinces-Unies !
Le gouverneur attendit que le Hollandais eût recouvré son
calme et sa dignité. « Mais à ce que j'ai compris, monsieur Lidrim, le navire
pas plus que sa cargaison ne sont disponibles pour une inspection. » Le
mandarin joua avec un des magnifiques boutons sculptés qui fermaient sa tunique
de soie brodée d'or.
Van Risling se maîtrisa non sans mal et considéra la
situation. Ces clowns n'apercevraient le tigre que quand ils auraient la tête
entre ses mâchoires.
« Je trouverai la preuve qu'il vous faut, Excellence, et
à ce moment-là votre pays sera trop heureux de se débarrasser une fois pour
toutes de ces traîtres d'Anglais. Quant à celui qui parle couramment le
siamois, j'ai envoyé une dépêche urgente à ma direction pour demander une
description de l'homme. Le gardien siamois de l'entrepôt
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