Le faucon du siam
son ventre
jusqu'à lui faire éprouver dans tous ses membres sa passion à elle. Il
s'abandonna complètement à cette merveilleuse chaleur, comprenant que ce qu'il
éprouvait maintenant n'était pas une émotion ordinaire. La ravissante danseuse
de la cour de Ligor l'avait atteint jusqu'au tréfonds de son âme.
8
Il n'y avait pas un nuage dans le ciel quand le cortège
franchit les grilles du palais pour s'engager dans les rues étroites —
certaines pavées, d'autres en terre battue — qui traversaient la ville et
menaient jusqu'aux arènes. C'était peu après l'aube du premier jour de décembre
1679 et la saison sèche s'était solidement installée après la mousson
exceptionnelle qui avait failli coûter la vie à Phaulkon, Burnaby et Ivatt.
Phaulkon respira à pleins poumons l'air agréablement frais et embaumé.
Les Siamois ne nommaient cette période saison sèche que
par contraste avec les jours d'humidité moite de mars à mai, avant que le
retour de la mousson en juin ne vienne rafraîchir et irriguer la terre
desséchée et remplir les voies d'eau stagnante. C'était la saison la plus
agréable, la période la plus idyllique de l'année. Une succession de journées
sans nuages et embaumées qui rappelaient un été européen sans pluie.
Huit hommes aux épaules nues portaient le palanquin d'or
du gouverneur et quatre autres étaient là pour les relever. Les rideaux de soie
ouverts montraient Son Excellence assise en tailleur sur une petite estrade
d'où elle contemplait avec intérêt la foule qui se pressait vers les arènes.
Vêtu de sa robe brodée d'or, l'homme portait son chapeau conique et ses
sandales musulmanes incurvées. Auprès de lui, mais quelque peu en retrait, marchait
le Palat. Derrière lui, et sur la droite, s'avançaient trois adjoints ayant
chacun seize cents marques de dignité et qui étaient chargés des départements
de la Cour, de l'armée et de l'administration. Ils étaient suivis de huit
fonctionnaires de quatorze cents marques de dignité, responsables de la gestion
du palais du gouverneur ainsi que de la direction de son personnel et de sa
maison : médecins, scribes, astrologues, juristes, gardes du corps, artisans,
moines, pages, danseuses, cuisiniers, serviteurs et esclaves.
Une dizaine d'esclaves couraient en tête du cortège,
écartant la foule et ouvrant la voie au Seigneur de la Province, tandis que les
farangs, flanqués de deux esclaves chacun, étaient groupés autour d'un autre
palanquin qui fermait la marche. Phaulkon se trouvait juste devant cette chaise
à porteurs, bien plus petite que celle du gouverneur et que quatre hommes
seulement portaient. Elle était occupée par Richard Burnaby, incapable de
marcher à cause de sa blessure au pied. Ivatt trottinait à côté.
Il régnait ce jour-là à Ligor une atmosphère de carnaval
: des centaines de paysans, pieds nus, vêtus seulement de pagnes, sortaient en
foule de leurs petites cabanes de bois bâties sur pilotis pour descendre les
rues, traverser la place du marché, déboucher sur des artères plus larges,
bordées d'arbres, et parvenir enfin à la lisière de la ville où les attendaient
les arènes et leur fortune — ou leur destin. Ce serait un grand jour pour jouer
et parier, songea Phaulkon. Des moines en robe safran, le crâne rasé, des
fonctionnaires aux châles drapés sur les épaules, des esclaves à la peau sombre
et des citoyens vêtus de leurs plus beaux atours allaient tous dans la même
direction. Il y avait aussi des femmes, certaines avec les seins découverts, d'autres
enveloppées dans une écharpe, les unes balançant un bébé sur la hanche,
d'autres menant par la main des enfants nus.
Des chiens décharnés essayaient de se glisser dans cette
procession : mais ils étaient promptement chassés par les esclaves tandis que
des enfants nus et bruns, à qui on avait enseigné dès leur plus jeune âge à
respecter leurs aînés, interrompaient leurs activités et se prosternaient sur
le côté pour saluer le cortège. Le défilé se poursuivait au milieu des cris de
« Farangs! Farangs! ». Les spectateurs stupéfaits restaient bouche bée avant de
s'affaler, le nez dans la poussière.
Ils traversèrent la place du marché qui semblait
étrangement déserte. La plupart des étals étaient à l'abandon et seule flottait
dans l'air l'odeur forte du durian, qui rappelait celle d'un fromage bien fait.
Car toute l'activité commerciale s'était déplacée dans les alentours
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