Le faucon du siam
des
arènes. Là-bas, tout le monde dépenserait son argent. Ceux qui étaient en
chemin avaient de la monnaie dans leur bourse, aussi bien pour acheter à manger
que pour jouer. Plus tard, les vainqueurs viendraient chercher des aliments
qu'ils porteraient en offrandes aux temples.
« Toute la ville doit être là ! s'exclama Ivatt en
rattrapant Phaulkon. Et j'adore la façon dont ces garçons nous ouvrent la voie.
Ça me donne l'impression d'être un véritable seigneur! »
Phaulkon eut un pâle sourire. Si seulement ils étaient
des seigneurs en visite, songea-t-il, honorables hôtes du gouverneur invités à
partager son passe-temps favori, et non pas des prisonniers en sursis dont la
condamnation à mort était suspendue au-dessus de leur tête. Il lui fallait
absolument se gagner les bonnes grâces du gouverneur, influencer le potentat en
leur faveur.
Au-delà des rangs de fonctionnaires subalternes du palais,
il jeta un coup d'œil vers le palanquin du gouverneur. Un bras impérieux
dépassait de la fenêtre, saluant de temps en temps majestueusement la foule,
tandis qu'en avant les esclaves frappaient les gongs pour annoncer le passage
de Son Excellence. De légers nuages de poussière s'élevaient de part et d'autre
de la route et là où les gens se prosternaient pour attendre le passage du
cortège. Phaulkon sentait certaines affinités entre le mandarin et lui : cet
homme était assurément la clé de leur libération pro-chaine, à condition bien
sûr que l'on ne retrouve pas les canons.
Il avait cruellement conscience qu'il lui fallait
retourner le plus vite possible à Avuthia pour y chercher d'autres moyens de
remplir les cales du vaisseau de Sam White — même si, à ce stade, il ne savait
pas très bien par où commencer, et si chaque jour passé à Ligor représentait un
jour de moins pour mener à bien cette tâche. Hier, il ne restait plus que
quatre-vingt-dix jours avant le rendez-vous à Mergui. Aujourd'hui, il n'y en
avait plus que quatre-vingt-neuf et le navire de Sam n'attendrait pas. Pas
question non plus qu'il reparte à vide.
Plongé dans ses réflexions, Phaulkon regardait de
robustes matrones aux cheveux blancs tondus et aux seins pendants, moins
vigoureuses que le reste de la foule, s'agenouiller avant de se prosterner : il
se demanda un moment combien d'entre elles avaient pu être autrefois des
Sunida. La belle danseuse de la nuit précédente occupait encore ses pensées. Il
avait cherché à savoir si elle serait aux arènes, mais elle n'était pas
parvenue à comprendre ce qu'il voulait dire. Il espérait la voir là-bas. À sa
connaissance, des spectatrices assistaient parfois aux rencontres de boxe, même
si ce n'était que dans les derniers rangs. La tradition interdisait leur présence
au bord de l'arène où elles risquaient de détourner l'attention des combattants
et où leur aura féminine ne manquerait pas de troubler l'atmosphère. Pourtant
Phaulkon avait entendu raconter que dans certaines lointaines provinces les
femmes combattaient également dans l'arène : elles obéissaient aux mêmes règles
que les hommes et parfois assommaient pour le compte leurs adversaires
féminines. Il sourit. Elles avaient de fortes personnalités, ces femmes du Siam
: fières et indépendantes, et pourtant loyales et féminines en même temps.
Elles possédaient des maisons, des bateaux et des esclaves comme les hommes.
Elles divorçaient comme les hommes. Elles portaient presque les mêmes vêtements
qu'eux. Elles avaient des droits égaux et, même quand un homme riche possédait
plus d'une épouse, c'était une femme, sa première épouse,
qui régnait sur les autres, dirigeant sa maison, ses esclaves et tout le
personnel. Dans les familles du peuple aussi, où les hommes devaient servir
obligatoirement le roi six mois par an, c'étaient les épouses qui géraient
leurs affaires.
Il s'interrogeait sur les antécédents de Sunida : d'où
pouvait-elle venir et comment s'était-elle retrouvée au service du gouverneur?
On avait dû l'envoyer dans une école de danse dès son jeune âge : les danseuses
classiques commençaient leur apprentissage presque aussitôt qu'elles savaient
marcher. Le gouverneur l'avait-il choisie au hasard dans quelque pauvre village
béni par la munificence du Seigneur de la Province, ou bien ses parents étaient-ils
de riches aristocrates qui la destinaient à une respectable carrière de
danseuse ? C'était difficile à dire. Les femmes du Siam étaient
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