Le faucon du siam
toutes douées
d'une même grâce naturelle, elles avaient un port des plus majestueux.
« Comment vous êtes-vous arrangé avec votre petite fille
au bout du compte, Thomas? demanda-t-il, se rappelant les événements de la
veille au soir.
— J'ai suivi votre conseil, Constant, et il ne s'est
pas passé grand-chose. » Le visage du petit homme prit l'expression d'un
soudain désespoir. « Dites-moi, suis-je voué à un étemel célibat dans ce pays
en raison de la taille inusitée de ma lance d'amour? » interrogea-t-il en ne
plaisantant qu'à moitié.
Phaulkon se mit à rire. « Nous arriverons sûrement à vous
trouver quelqu'un qui fasse l'affaire, Thomas. Peut-être à Ayuthia. Dès notre
retour, je solliciterai des recommandations de mes amis portugais.
— Allons-nous vraiment regagner Ayuthia?» demanda
Ivatt d'un ton pour une fois grave et teinté de mélancolie. Il n'avait jamais
posé de questions sur la marchandise, même si Phaulkon était certain qu'il
était au courant. Il appréciait vivement la discrétion du petit homme.
« J'ai bien l'intention d'y veiller, Thomas, d'autant
plus que, de nous tous, vous êtes le seul innocent. » Phaulkon lui jeta un
sourire rassurant et vint
rejoindre la litière de Burnaby. « Comment va votre
jambe, Richard?
— Pas trop mal, merci. Je suis malgré tout content
de ne pas faire ce trajet à pied. Quand, à votre avis, pourrai-je consulter mon
médecin à Ayuthia ?
— Pas de si tôt, j'en ai peur, Richard. Pas avant
qu'ils ne soient persuadés de notre innocence. Et si nous insistons trop, cela
ne fera qu'aiguiser leur méfiance. Détendez-vous, amusez-vous. Vous n'êtes pas
en trop mauvaise compagnie et, de toute façon, vous n'êtes pas en état de
voyager.
— Comment voulez-vous que je me détende quand je
sais que nous sommes retenus ici? Et d'ailleurs pourquoi nous gardent-ils
prisonniers si l'on n'a pas découvert les canons ? »
Phaulkon n'avait pas encore parlé à Burnaby de la preuve
de leur complicité qui, selon le Hollandais, n'allait pas tarder à lui
parvenir. Burnaby ne ferait que s'énerver davantage en lui demandant sans cesse
quelle pouvait bien être cette preuve. À cette heure-là, Phaulkon en ignorait
tout, mais cela ne l'empêchait pas de s'en inquiéter.
« Ils nous gardent sans doute parce qu'ils veulent
s'assurer de notre innocence.
— Et comment vont-ils s'y prendre?
— Par défaut. Si l'on ne découvre pas les canons,
ils n'ont plus aucune raison de nous soupçonner. Ils attendent simplement
encore un peu.
— Et si on les retrouve? »
Phaulkon contrôla son agacement. « Si c'est le cas,
Richard, nous avons un sérieux problème. Je préférerais l'affronter quand il se
posera.
— Au bout de combien de temps, à votre avis,
vont-ils renoncer à retrouver nos marchandises ?
— Pas plus de quelques jours, me semble-t-il. Juste
le temps nécessaire pour que votre pied aille mieux. »
Burnaby ricana. « Mon pied guérirait bien plus vite s'il
reposait sur le pont d'un navire à destination d'Ayuthia.
— Si nous parvenons à conserver les bonnes grâces du
gouverneur et à l'impressionner par nos manières
— rappelez-vous, Richard, que les manières sont
essentielles pour les Siamois —, je crois que nous pourrons accélérer notre
libération. Dites-vous bien que ça n'arrangera rien si vous avez tout le temps
l'air sinistre et préoccupé.
— Bon sang, répliqua Burnaby avec irritation, vous
n'êtes pas préoccupé, vous?
— Bien sûr que si. Mais je ne veux pas le montrer.
Ça ne collerait pas avec l'apparence d'innocence que j'essaie d'afficher. »
L'arène du combat de boxe apparut alors au centre d'un
vaste champ à la lisière de la ville. Elle était légèrement surélevée et les
limites en étaient marquées par quatre poteaux de bambou réunis par des cordes
en écorce de cocotier. La surface était plantée d'herbe : cela signifiait qu'il
avait bien fallu ces cinq journées de franc soleil après la tempête pour
l'assécher suffisamment et permettre la rencontre. Dans la boxe thaïe, il était
exclu de patauger dans la boue pour la faire gicler au visage d'un adversaire.
L'arène était bourrée de spectateurs accroupis. Le
Hollandais les attendait auprès de l'estrade surélevée qui marquait la place
d'honneur du gouverneur, une plate-forme de bois dominant la foule. Il s'avança
pour les saluer et présenter ses respects au gouverneur. Puis il se tourna vers
Phaulkon et
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